Son nom était connu de tous. L’artiste Ben, Ben Vautier, s’est donné la mort le mercredi 5 juin, quelques heures après le décès de son épouse. Retour sur la vie d’un homme dont l’écriture nous est familière.
Le 5 juin dernier, le monde des arts a appris avec stupeur le décès de l’une de ses grandes figures. Quelques heures après la disparition de son épouse, Ben Vautier, âgé de 88 ans, a fait le choix de la rejoindre, « ne voulant et ne pouvant pas vivre sans elle », selon le communiqué officiel de la famille. « Ben et Annie, c’était fusionnel. L’un sans l’autre n’existait pas » a témoigné Robert Roux, ami proche du couple et adjoint au maire de Nice délégué à la culture. « Elle le corrigeait de temps en temps dans ses excès, lui la taquinait en permanence et on ne pouvait pas voir Ben sans Annie et réciproquement. C’est un exemple fou d’un amour vraiment étonnant ».
Ce jeudi 13 juin, un hommage a été rendu à ce couple ayant partagé 60 ans de leurs vies. Cette cérémonie a eu lieu à 10h30 à Nice, leur lieu de résidence, plus précisément sur le miroir d’eau de la Promenade du Paillon. L’occasion de célébrer l’artiste post-moderne ayant appartenu au mouvement artistique Fluxus et connu pour ses écritures simples mais pleines de sens.
Créateur de vie, créateur d’art
Né en 1935 à Naples d’une mère irlandaise et occitane et d’un père suisse romand, Ben Vautier a très vite expérimenté la vie. Après la déclaration de la seconde guerre mondiale en 1939, le petit Ben voyage en Suisse, en Turquie, en Egypte et en Italie, avant de rejoindre la France, à Nice, dix ans plus tard.
Le jeune homme, arrière-petit-fils du peintre Marc Louis Benjamin Vautier, étudie à l’école du Parc-Impérial et à la pension du collège Stanislas. Sa mère lui trouve un travail au sein de la librairie Le Nain bleu. L’occasion pour lui de toucher à toutes les activités liées à l’établissement littéraire et de se faire sa propre vision de l’art. Par la suite, sa mère lui achète une librairie-papeterie, qu’il revend à la fin des années 50 pour acheter une boutique qu’il rénove pour y vendre des disques. En parallèle, il débute une série de dessins, puis des sculptures vivantes, en apposant sa signature sur des passants, des amis et membres de sa famille !
Ben Vautier transforme son magasin en un lieu de rencontres et d’exposition, permettant à tous d’échanger des idées et d’afficher des œuvres. Au fil du temps, l’adresse regroupe les membres de l’École de Nice (comme César, Arman et Martial Raysse) autant d’artistes de la région niçoise. En 1959, Ben crée le journal Ben Dieu, et en 1960, il organise sa première exposition seul, Rien et tout Laboratoire 32.
C’est à cette époque que Ben rencontre Yves Klein et s’initie au mouvement artistique du Nouveau Réalisme. Puis, il s’intéresse au dadaïsme, un courant qui se caractérise par une remise en cause de toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques. Dans les années 60, l’artiste intègre le Fluxus, lui permettant de s’approprier le monde en tant qu’œuvre d’art. Sa série « Tas » représente cette vision artistique : Ben signe des amas de terre et des déchets sur des terrains, mais aussi des boites, des trous mystères, des poules… L’ambition ? Relier l’art à la vie. Il explique alors que tout est art et que tout est possible en art.
En 1965, dans son magasin, il crée une galerie de trois mètres sur trois dans sa mezzanine : « Ben doute de tout ». Il y expose Biga, Alocco, Venet, Maccaferri, Serge III, Sarkis ou encore Filliou. Dix ans plus tard, le musée d’art moderne et contemporain du Centre Pompidou achète cette boutique niçoise pas comme les autres. En 1977, dans le même musée, l’exposition collective « À propos de Nice », à laquelle il participe, symbolise cette reconnaissance de l’art et des recherches effectuées en dehors de la capitale.
Des expositions et des rétrospectives
Au début des années 80, après une année à Berlin, il fait la rencontre de plusieurs artistes, donnant naissance à un nouveau groupe, baptisé Figuration Libre, regroupant notamment Robert Combas, Hervé Di Rosa, François Boisrond et Rémi Blanchard. Il expose d’ailleurs certaines œuvres de ces derniers dans sa maison et à la galerie de la Marine à Nice.
Alors que plusieurs expositions orchestrées par et pour l’artiste ont lieu aux quatre coins de la France, il transforme en 1991 le forum du Centre Pompidou en un forum des questions. Quatre ans plus tard, sa première rétrospective se tient au Musée d’art contemporain de Marseille.
En 1995, à Blois, il réalise l’une de ses œuvres les plus conséquentes : Le Mur des Mots, fait de 300 plaques émaillées composées de ses plus célèbres tableaux-écritures. Cette commande publique a été organisée sous l’égide de Jack Lang, maire de la ville et ministre de la Culture. Un symbole de la notoriété de Ben.
En 2001 se tient une rétrospective au Musée d’art contemporain de Nice, sa ville de cœur. Puis a lieu la présentation « Ben, strip-tease intégral » en 2010 au Musée d’art contemporain de Lyon, ou encore en 2022 au MUAC de Mexico.
Difficile d’énumérer de toutes les expositions liées à Ben tant elles sont nombreuses. MoMA de New York, galerie d’art de Nouvelle-Galles du Sud de Sydney, Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig Wien de Vienne, musée d’Art contemporain d’Anvers d’Anvers… L’influence de l’artiste a traversé les époques et les frontières, preuve de sa solide notoriété.
Une écriture iconique
L’artiste est mondialement connu pour ses écritures aux formes rondes, que l’on peut voir tant dans les galeries et la rue que sur les trousses et les agendas des écoliers. « Il faut se méfier des mots », « C’est le courage qui compte », « Prenez des désirs pour des réalités », « J’écris donc je suis », « L’art est partout » sont autant de manifestes signés par Ben, avec son écriture blanche sur fond noir.
Peu importe le support et la manière, le dessein est toujours resté le même : apporter une réflexion sur l’art et l’intégrer dans le quotidien. Interroger. Remettre en question. Créer.
Ben s’est aussi distingué par ses engagements envers les minorités et son soutien aux jeunes artistes. Jamais il ne s’est tu et il a toujours défendu ses idées et ses convictions culturelles, politiques ou artistiques. Bien que Ben nous ait quitté, ses écrits et ses œuvres resteront gravés à jamais dans l’esprit de ses admirateurs.
Lire aussi : Françoise Hardy : l’icône du style années 60 s’en est allée
Photo à la Une : Ben Vautier © Fondation Linda et Guy Pieters.