Chafik Gasmi (Chafik studio) : “Quand on crée un lieu de luxe, il sera durable par essence”

L’architecte Chafik Gasmi a accompagné les grandes maisons de luxe (Dior, Givenchy, Guerlain, Kenzo, Vuitton…), il a été notamment directeur artistique de Sephora (Lvmh) puis de Baccarat et plus récemment du retail design de Lancôme.

 

En 2004, il a fondé son propre studio, Chafik Studio, où il mène des projets alliant luxe et écologie. Il nous livre ses réflexions sur l’évolution des boutiques du secteur.

 

Vous avez conçu des concepts de boutiques pour les plus grandes maisons de luxe. Quelles sont les tendances nouvelles que vous voyez émerger dans cet univers ?

En tant qu’architecte, on se projette en général une vingtaine d’années à l’avance. Et la tendance fondamentale que je ressens depuis un certain temps, c’est celle de la convergence des usages. A l’image de ce qui s’est passé pour le Smartphone, regroupant de multiples fonctions, il devrait en être de même dans les lieux de transit, voués à devenir hybrides, à la fois magasin, restaurant, bar, musée, théâtre, hôtel…Ces activités ne doivent plus se contenter d’être adjacentes mais intégrées dans une unité de lieu. Dans ce nouveau schéma, c’est l’hôtel, tel qu’il devrait exister, qui devrait tirer son épingle du jeu. Ouvert 24 H sur 24, 7 jours sur 7, il offre déjà gite, restauration, salles de travail, boutique…Par ailleurs, on ne crée plus des lieux juxtaposés et inertes avec juste une offre suffisante, mais avec désormais une programmation, constituée d’animations, qui peut changer chaque semaine, voire jour ou même heure. Ce qui oblige à garder de la souplesse en fonction de l’actualité. Cette évolution pose aussi la question de la formation des salariés qui ne seront plus cantonnés dans une unique compétence. Les rôles transversaux (directions artistique, de l’image, veille, ressources humaines, formation…) vont ainsi prendre de l’importance.

 

Vous avez fait du mariage entre écologie et luxe votre marque de fabrique. Celui-ci est-il encore un élément distinctif alors que tous intègrent désormais le développement durable dans leur démarche ?

J’ai été un directeur artistique (chez Sephora, ndlr) très heureux chez Lvmh, mais j’ai voulu fonder mon studio pour pouvoir exercer ma vocation, mon métier d’architecte avec pour impératif la dimension écologique. Le premier projet a été celui d’un hôtel bioclimatique et biodégradable dans le désert algérien. Aujourd’hui, la dimension écologique est un impératif et l’enjeu n’est pas qu’elle soit un élément distinctif mais au contraire, qu’elle devienne un élément fondamental pour chacun.

 

 

Quelles sont, à vos yeux, les dernières inaugurations de magasins de luxe les plus intéressantes d’un point de vue durable ?

Quand on crée un lieu de luxe, il sera durable par essence car les critères de coûts et d’exigence sont élevés. Il y a une boutique que j’apprécie tout particulièrement pour avoir participé à sa création, soit Lancôme sur les Champs Elysées, inaugurée juste avant le covid. C’est l’une des premières boutiques de luxe à obtenir la LEED certification (Leadership in Energy and Environmental Design), la plus exigeante en matière de respect de l’environnement.

 

 

Les nouvelles technologies sont de plus en plus mises à contribution dans les temples du luxe. Comment les intégrer dans les boutiques sans les déshumaniser ?

Pour réaliser le magasin Lancôme précité, nous avons eu recours à la réalité virtuelle (RV), comme à un vrai outil de conception et discussion, pour les sujets suscitant des hésitations. Suite à cette expérience, nous avons décidé d’en faire aussi un outil pour nous et les clients de notre studio. La réalité virtuelle ouvre de nouvelles possibilités. Dans l’univers du Métaverse, on n’est plus soumis à la gravité, on n’a plus besoin d’étagères, on gagne en liberté d’expérience. On peut même regarder sous une voiture en la soulevant si on veut ! Ce qui déshumanise, c’est le fait de reproduire la même chose, mais en moins bien, que dans la réalité physique. Pour notre part, nous sommes aujourd’hui en train de travailler pour le Métaverse sur un site de vente en ligne en VR pour le compte de la marque de beauté Demain. On a imaginé que les murs y seraient des cascades d’eau, chose impossible dans la vraie vie sur le plan écologique. A côté du physique et de l’e.commerce, on crée ainsi un troisième monde, plus poétique, plus écologique, riche en expérience et en émotion. Tous ces mondes vont devenir complémentaires et s’enrichir mutuellement.

 

Comment imaginez-vous les boutiques de luxe du futur ?

Aujourd’hui, les boutiques de luxe sont souvent vides et tristes et pleines de logos. Demain, on devrait revenir à un luxe plus intérieur, avec des signatures plus discrètes et délicates. Tandis que les boutiques se devront d’être pleines de vie et de joie, avec des gens qui partagent les mêmes valeurs et passions et qui vivent des expériences émouvantes et enrichissantes. Elles seront ouvertes sur les arts, y compris les arts vivants. Avec comme critères clés, la beauté, l’élégance et l’imaginaire

 

 

 

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Photo à la Une : Chafik Gasmi © Stéphane de Bourgie

Sophie Michentef has worked for more than 30 years in the professional press. For fifteen years, she managed the French and international editorial staff of the Journal du Textile. She now puts her press, textile, fashion, and luxury expertise at the service of newspapers, professional organizations, and companies.

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