Au petit matin du 6 juin 1944, à l’heure où la pénombre prédomine encore, 225 rangers américains s’élancent en direction de la Pointe du Hoc, un éperon rocheux s’élevant à 30 mètres au dessus du niveau de la mer. Cette opération spéciale consistant à neutraliser l’artillerie lourde allemande postée à son sommet s’avère cruciale dans la réussite de l’opération Overlord. Celle-ci, qui doit débuter quelques heures plus tard, restera dans les mémoires comme le jour du débarquement de Normandie.
Considérée comme l’ouvrage fortifié le plus dangereux de la zone d’assaut américaine lors du débarquement, la Pointe du Hoc (commune de Cricqueville-en-Bessin) était sans conteste l’un des emplacements les plus stratégiques du mur de l’Atlantique érigé par l’armée allemande.
Anéantir les canons de 155 mm capables de pointer vers deux des cinq plages choisies pour le débarquement allié (Omaha Beach à l’Est et Utah Beach à l’Ouest), telle était la mission du lieutenant-colonel James Earl Rudder et de ses 225 rangers. Ces soldats américains du 2nd Ranger Battalion, armés entre autres, de grappins, avaient pour ordre d’escalader la falaise, une fois le pilonnage des côtes par la marine américaine achevée. Ils devaient saboter des installations allemandes lourdement protégées… mais tout ne s’est pas déroulé comme prévu !
Muraille de roche, de barbelés et de béton
En février 1944, les forces allemandes ont installé une impressionnante garnison de défense non loin de Harfleur, sur la Pointe du Hoc. Le nom évoque, à lui seul, la difficulté de la mission confiée au lieutenant-colonel James E. Rudder. Ce “Hoc” provient de « haugr » en Norois, la langue des Vikings et signifie monticule ou colline. Une toponymie fréquente en langue normande que l’on retrouve avec des lieux comme Saint-Vaast-la-Hougue mais surtout un euphémisme quand on considère la topographie des lieux. En effet, cette forteresse bétonnée, bordant le littoral se trouve sur un plateau qui se termine lui-même abruptement en falaises rocheuses de 25 à 30 mètres de haut, constituant autant de murailles naturelles.
Outre des bunkers aux murs et plafonds de 2 mètres d’épaisseur reliés par un réseau souterrain et un centre télégraphique, le système de défense s’appuie notamment sur six obusiers de 155 mm de fabrication française datant de la Première Guerre mondiale. Ces derniers étaient disposés dans des encuvements à ciel ouvert.
Suite à l’inspection de Rommel mené en janvier 1944 pour renforcer les défenses allemandes le long du Mur de l’Atlantique, des abris en béton étaient prévus pour protéger les canons. Fort heureusement pour les alliés, au printemps, seules deux casemates étaient opérationnelles et quatre en toujours en construction.
Les artilleurs en poste sur ce site stratégique appartiennent à la 2e batterie du Heeres-Küsten-Artillerie-Abteilung 1260 et sont commandés initialement par l’Oberleutnant Frido Ebeling. Après avoir refusé d’ouvrir le feu sur une patrouille navale britannique en octobre 1943, ce dernier a été remplacé par son adjoint, l’Oberleutnant Brotkorb.
Ces hommes bénéficient de l’appui des fantassins du 3e bataillon du Grenadier-Regiment 726, chargé de la protection du littoral entre Grandcamp-les-Bains et Vierville-sur-Mer. A cela s’ajoute depuis le mois de mai, quinze artilleurs du Werfer-Regiment et 84 équipés de mitrailleuses.
Opération suicide ?
Grâce à sa position dominante, la batterie d’artillerie allemande de la Pointe du Hoc est capable de tirer jusque sur la plage de Omaha, située pourtant à 6 km… Les alliés décident donc en complément des bombardements aériens et navals, de monter une troupe d’assaut chargée de détruire cette batterie de canons et de sécuriser le périmètre de Omaha Beach afin de limiter les pertes humaines le Jour J.
Le 6 juin vers 4h30 du matin, une opération amphibie est menée : 10 péniches d’assaut, accompagnées de 2 péniches de matériel et de 4 camions amphibies s’élancent vers la Pointe du Hoc. A leur bord, les 225 rangers du 2nd Ranger Battalion sous les ordres du lieutenant-colonel James Earl Rudder, ancien fermier du Texas.
Comme le précise l’ordre complet d’opération du 26 mars 1944 signé par le Major Général Gerow commandant le Ve Corps, ses hommes ont pour mission de “détruire les défenses côtières de la pointe du Hoe (sic) et de la pointe de la Percée, et flanc garder l’assaut à Omaha. Appuyés par des éléments débarqués, s’emparer des batteries de Grandcamp et de Maisy. Puis opérer contre les positions ennemies le long de la côte entre Grandcamp et Isigny”.
A 6h30, le pilonnage ininterrompu des positions côtières par le cuirassé USS Texas cesse : c’est l’heure pour les hommes du lieutenant-colonel Rudder de passer à l’action. Toutefois, une erreur de navigation, due notamment aux forts courants marins, retarda de quasiment 40 minutes l’opération. Ce sursis imprévu permet à l’armée allemande de se réorganiser.
En dépit de deux barges de débarquement coulées par l’ennemi, il est 7h10 quand les Rangers du 2nd Ranger Battalion mettent pied à terre et partent à l’assaut du flanc est de la Pointe du Hoc. S’aidant de lances fusées propulsant des grappins attachés à des cordes à nœuds, d’échelles voire de leurs propres poignards, les Rangers se lancent dans leur périlleuse ascension sous le feu nourri de l’ennemi. Leur escalade est couverte par le feu du destroyer USS Satterlee.
Si le site défensif est finalement pris moyennant un combat acharné, il l’est en revanche trop tardivement pour espérer les renforts de la 5th Ranger Battalion, forte de 500 hommes qui attendent au large, à bord du USS Satterlee.
N’ayant pas vu le signal à 7 heures tapantes comme prévu dans le plan initial, ces derniers ont directement été débarqués sur Omaha Beach.
Subterfuge
A 7h40, la plupart des Rangers du Colonel Rudder ont gravi le sommet.
Ils découvrent alors une place forte en ruine, du fait des nombreux bombardements alliés essuyés par la garnison allemande en amont du débarquement de Normandie.
Mais surtout, les troupes d’élite ne trouvent aucun canon, ni dans les casemates ni dans les cuves bétonnées. A leur place, des leurres et quels leurres : de gros madriers en bois couverts de filets pour mieux tromper l’aviation alliée.
A 9h30, la troupe d’assaut découvre les vrais canons pointés en direction de Utah Beach et les détruisent. Ces derniers avaient été déplacés au sud du site, à 1 km à l’intérieur des terres dans un petit chemin bordé de haies sur la route de Grandcamp-Maisy. Cette manœuvre visait à mettre les pièces d’artillerie à l’abri des bombardements alliés qui faisaient rage deux mois plus tôt.
Isolés sur la Pointe, les soldats du 2nd Ranger Battalion subissent pendant deux jours de féroces contre-attaques allemandes.
Le matin du 8 juin, le 5th Ranger Battalion du lieutenant-colonel Max F. Schneider et la 29e DIUS se portent enfin aux secours des 90 Rangers rescapés et retranchés sur la Pointe du Hoc. La bataille de Normandie peut s’engager, ouvrant la voie vers la libération de Paris, le 25 août 1944.
Le courage de ces hommes a permis à quelques 133 000 hommes de débarquer le 6 juin 1944, à minuit : les Américains sur les plages de Omaha Beach et Utah Beach, les Britanniques sur les plages de Gold Beach et Sword Beach et les Canadiens sur la plage de Juno. Le Jour J, 10 500 soldats alliés ont été tués, blessés, portés disparus ou prisonniers, dont 6000 américains. Des pertes qui se chiffrent à 2500 hommes sur la seule Omaha Beach et 197 sur Utah Beach.
Pour les cérémonies commémoratives des 80 ans du débarquement d’autres lieux de mémoire ont été choisis : le cimetière militaire américain de Colleville-sur-mer, le mémorial britannique de Ver-sur-mer, le centre Juno Beach, (actuel Courseulles-sur-Mer). La cérémonie internationale à laquelle participe 25 chefs de gouvernement, dont le président Emmanuel Macron, le roi Charles III, le premier-ministre canadien Justin Trudeau, le président américain Joe Biden ainsi que le président ukrainien Volodymyr Zelensky, se déroule en revanche sur Omaha Beach (actuel Saint-Laurent-sur-mer).
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Photo à la Une : Hubert Groult/Pointe du Hoc