Il est une musique de film qui résonne chaque année deux fois lors du Festival de Cannes : lors des cérémonies d’ouverture et de clôture. Convoquant les souvenirs d’enfance, elle est l’œuvre du prolifique compositeur James Horner, disparu en juin 2015 et aussi à l’origine de la bande son de Titanic. Moins connue pour son lien au festival que “Le Carnaval des Animaux” de Camille Saint Saens, qui précède chaque projection, “The Land Before Time”, est pourtant l’une des œuvres les plus abouties de James Horner.
Le pianiste français Camille Saint Saëns, avec son œuvre Le Carnaval des Animaux, est l’éminent représentant de la musique classique au festival de Cannes, introduisant chaque projection depuis les années 1990. James Horner est, quant à lui, chargé de représenter la musique de film mais aussi d’ouvrir et de clore chaque année le festival en musique.
La partition, écrite pour le film d’animation pour enfant, le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles (The Land Before Times, en VO) de Don Bluth (1988), produit par Steven Spielberg, a tout d’une œuvre adulte. Incarnation du gigantisme émotionnel, cette ode à l’amour maternelle oscille entre drame et optimisme et porte en elle le courage de continuer malgré l’adversité. Une métaphore de l’acte créatif en somme et plus encore de la vie.
Un projet Bigger than Life
Bien avant les succès de Braveheart, Titanic et Avatar, James Horner se fait connaître notamment pour l’intégration de chœurs et d’éléments électroniques dans ses orchestrations classiques.
Dotée d’une impressionnante connaissance du répertoire classique, il sera reconnu et parfois décrié pour ses “associations libres”, flirtant avec le plagiat. Quitte à aller jusqu’au tribunal pour la musique de Chérie J’ai rétréci Les Gosses attaquée par les héritiers du compositeur italien Nino Rota, y retrouvant des éléments d’Amarcord.
“Le répertoire dans son ensemble est en soi un terrain fertile dont je me sers comme Prokofiev ou n’importe quel autre compositeur. Richard Strauss se considérait comme quelqu’un qui « passait le relais », une expression très parlante, je trouve” avait-il déclaré lors de la promotion du film Sneakers (1992). Et d’ajouter “La musique de film a une structure particulière qui permet au répertoire d’évoluer. Vous savez, j’ai toujours considéré notre profession comme une métaphore contemporaine de l’époque où Bach et Haydn composaient des partitions pour les rois ou pour des événements liturgiques sur commande.”
En 1986, James Horner travaille sur le nouveau film d’animation de Don Bluth : le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles. Ce dernier est un ancien animateur de Disney, ayant notamment travaillé sur la Belle au Bois Dormant et Robin des bois, avant de fonder son propre studio.
Initialement, les producteurs Steven Spielberg et George Lucas (avec Amblin Entertainment et Universal Pictures) voulaient réaliser un long métrage d’animation dépourvu de dialogue, à la manière de la séquence Le Sacre du printemps dans le film Fantasia de Disney (1940). Devant le caractère clivant de la démarche, ils font marche arrière et optent pour un film plus conventionnel.
Steven Spielberg demande au réalisateur de ne pas entamer le projet avant la sortie de Fievel et le Nouveau Monde – autre succès du studio – ce qui laisse à Don Bluth à peine un an pour terminer le film.
Accaparé par les tournages des films Always et Indiana Jones et La Dernière Croisade, tous deux sortis en 1989, le producteur Steven Spielberg – auréolé des succès des Dents de la Mer (1975) et de ET l’extraterrestre (1982) – est quasi injoignable, tandis que les animateurs devaient être payés avant l’achèvement du scénario.
La trame du Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles suit un groupe de cinq jeunes dinosaures, séparés de leurs parents après un grand « tremblement de terre », qui cherchent de la nourriture, fuient “Dent Tranchante” ( un Tyrannosaurus Rex) et luttent pour survivre et surtout atteindre la Grande Vallée, une région recouverte d’une végétation luxuriante et infinie.
Le film aborde des thèmes aussi durs que l’acceptation de la mort d’un parent, le racisme et la solitude.
En chemin, le héros, Petit-Pied, perd sa mère qui se sacrifie pour lui. Cette séquence larmoyante vaut au studio de consulter un psychologue pour enfant qui suggère de créer un « thérapeute dinosaure » – en l’occurrence Rooter – afin d’aider Petit-Pied et les plus jeunes spectateurs à accepter l’idée de perdre un parent.
Au final, une partie importante du film (onze minutes), jugée trop effrayante ou traumatisante pour le jeune public visé, est coupée au montage, si bien que le film dure moins d’une heure : 66 minutes
James Horner peut toutefois se féliciter du budget alloué à la musique qui lui a permis de diriger le London Symphony Orchestra, le King’s College Choir de Wimbledon ainsi que de bénéficier d’un studio d’enregistrement de premier ordre, le célèbre Abbey Road Studio 1 de Londres.
James Horner a enregistré sa bande originale en une seule prise particulièrement longue, se déroulant en seulement dix morceaux, lesquels durent en moyenne 7 à 8 minutes.
Avec plus de 600 décors et un million de dessins au total, le film surpasse sur le plan technique le Disney de l’époque, Oliver et Compagnie, et le bat même de peu au box office.
En 2020, une édition extended de 72 minutes de la bande son du Petit Dinosaure sortait, incluant deux morceaux inédits : « Journey Of The Dinosaurs » (8 minutes 30) et « Separate Paths » (7 minutes 15).
D’amour et d’amitié
Bien avant la tendance actuelle visant à réinvestir l’amitié dans les relations interpersonnelles, le personnage de Petit-Pied, un “long cou” (Apatosaurus) trouve du réconfort auprès de ses cinq amis, suite à la mort de sa mère. Il rencontre ainsi Cera, un “trois-cornes” (Triceratops), Ducky, un “long bec” (Parasaurolophus), Spike, une “écaille pointue” (Stegosaurus) et Pétrie, un “volant” (Pteranodon).
Ensemble, il vont réussir, à la manière de “Pierre et le Loup”, à neutraliser le danger de Dent tranchante (Tyrannosaurus Rex). La musique du Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles reprend d’ailleurs plusieurs éléments de l’œuvre de Sergueï Prokofiev. La trame s’inspire ainsi dans son troisième acte, de l’histoire de Pierre et le loup, les personnages s’alliant contre un méchant et mettant en place un stratagème élaboré qui causera la chute du loup, remplacé ici par un T-Rex.
Autre technique inspirée chez James Horner par Sergueï Prokofiev, l’œuvre facilite l’identification des personnages en leur attribuant chacun un instrument et un leitmotiv musical. A l’instar du quatuor à cordes pour Pierre, de la clarinette pour le chat, de la flûte traversière pour l’oiseau, du hautbois pour le canard ou encore des cors pour le loup. Pierre et le Loup est d’ailleurs devenu un formidable outil d’apprentissage pour enseigner aux jeunes les subtilités entre les thèmes et les motifs.
James Horner se montre néanmoins moins rigoureux que son illustre prédécesseur classique, usant de la flûte lors de la naissance de Petit-Pied pour finalement le caractériser par une mélodie amusante tout au long de l’histoire. En définitif, les thèmes des différents personnages se manifestent surtout lors de leurs interactions et confrontations.
A l’image de son compositeur, coutumier des “associations libres”, la bande originale du Petit Dinosaure emprunte d’autres éléments au répertoire classique, soit notamment des mélodies tirées du Prince de bois de Béla Bartók, l’Interlude de Roméo et Juliette de Prokofiev ou encore Victory de la Cantate pour le 20e anniversaire de la Révolution d’octobre de Prokofiev.
C’est le final orchestral et grandiose de cette dernière cantate, caractérisée par un chœur qui en procure toute la majesté et le pic émotionnel, interprétée par The City of Prague Philharmonic Orchestra qui résonne deux fois l’an dans le Palais du Midem à Cannes.
De cette cantate, le compositeur a fait une ode à l’amour maternelle, Whispering Winds, dont le thème rappelle le bruissement du vent. Le motif choral représente quant à lui l’étoile de l’arbre, une feuille verte qui symbolise la promesse d’une vie meilleure et le souvenir impérissable de la mère de Petit-Pied.
Seconde partie de la suite, elle précède la Découverte de la Grande Vallée, et la tragédie cède la place à l’espoir créant un thème universel et optimiste, fortement empreint des grandes envolées du Romantisme du XIXe siècle.
Le plus celtique des compositeurs américains
Disparu il y a tout juste dix ans, James Horner a composé des bandes originales pour quelque 160 films et séries en l’espace de 35 ans de carrière.
Il a ainsi remporté l’oscar de la meilleure composition de film pour Titanic de James Cameron (1997) ainsi que le titre de bande originale orchestrale de film la plus vendue de tous les temps. Il se partage également avec Will Jennings, l’oscar de la meilleure chanson originale avec My Heart Will Go On interprétée par Céline Dion.
Ce natif de Los Angeles, de parents immigrés juifs, se met au piano à l’âge de 5 ans avant de compléter sa formation musicale par la pratique du violon. A 9 ans, il désire déjà être compositeur de musique symphonique.
Après un bachelor à la Southern California University, il suit les cours de Gyorgy Ligeti au Royal College of Music avant de préparer un doctorat en théorie musicale à l’université d’UCLA.
C’est en écrivant plusieurs musiques pour des films fantastiques et de science-fiction de seconde zone comme Du rouge pour un truand (1979), Les Monstres de la mer (1980) et Les Mercenaires de l’espace (1980) qu’il ne tarde pas à se faire repérer.
En 1982, choisi comme second choix car moins cher que le célèbre Jerry Goldsmith, auteur du premier opus, il signe la bande son de son premier blockbuster, Star Trek II : la colère de Khan. En 1986, il compose pour Aliens, qui lui vaut sa première nomination aux oscars et pour Captain EO, le film avec Michael Jackson, devenu attraction de Disneyland.
Outre les blockbusters, il œuvre dans de nombreux dessins animés et films familiaux de réalisateurs comme Joe Johnston (Chérie, j’ai rétréci les gosses ; Les Aventures de Rocketeer, Jumanji… ), Brad Silberling (Casper), Simon Wells (Balto) ainsi que dans les productions de Steven Spielberg et Don Bluth dont Fievel et le Nouveau Monde (1986).
“J’ai travaillé sur toute une série de films d’animation de Steven Spielberg, tous réalisés dans le style Disney classique par Don Bluth, un animateur de renom […], a ainsi déclaré le compositeur. Je prends l’animation très au sérieux. L’animation est unique. C’est de la musique continue. Il y a très peu de films qui fonctionnent sans musique, et tout doit être parfaitement synchronisé avec les actions des personnages. Cela doit être très précis, et dans cette histoire, même s’il s’agit d’un film d’animation, il fallait qu’il y ait des émotions.”
Se prenant de passion pour la culture celtique, il truffe ses compositions de cornemuses et de flûtes irlandaises.
Des réminiscences folkloriques que l’on retrouve dans Braveheart de Mel Gibson (1995) et dans Titanic de James Cameron (1997). Jeux de guerre (1992) et ennemis rapprochés (1997) bénéficient également de ces motifs celtiques.
En 2009, il retrouve James Cameron, pour composer la bande originale d’Avatar, qui détrône à sa sortie Titanic comme le film le plus rentable de tous les temps.
Pilote à ses heures perdues, le compositeur américain dispose d’un petit avion d’entraînement, qu’il utilisait pour des vols acrobatiques. Le 22 juin 2015, il perd la vie dans un crash aérien en survolant la forêt nationale de Los Padres, en Californie. Il avait 61 ans.
Des trois projets sur lesquels il planchait au moment de sa disparition, le remake par Antoine de Fuqua des Sept Mercenaires (2016), classique du western spaghetti des années 1960 et initialement orchestré par Elmer Bernstein, constitue sans doute l’un des plus audacieux.
9 fois nommé aux Oscars, respecté dans la profession au même titre que John Williams, Hans Zimmer ou Danny Elfman, James Horner bénéficiera d’un hommage posthume de la part de Céline Dion, interprète de la chanson du film Titanic. “René et moi sommes profondément attristés par la mort tragique de James Horner. Il restera à jamais un grand compositeur dans nos cœurs. James a joué un rôle primordial dans ma carrière. Il va nous manquer” avait déclaré la pop star sur son compte Instagram.
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