INTERVIEW Marc Brunel (Alliance France Cuir) “Le cuir est par excellence un matériau qui dure et se répare”

LUXUS MAGAZINE était présent à Paris au Salon du Made in France, qui s’est déroulé du 8 au 11 novembre 2024 à Porte de Versailles. A cette occasion, nous avons rencontré Marc Brunel, directeur général d’Alliance France Cuir, la confédération professionnelle française dédiée à la filière cuir. 

 

Haut lieu de la défense et de la valorisation des savoir-faire, le Salon du Made In France (MIF) a accueilli ce mois-ci à Porte de Versailles un stand immersif rythmé par de nombreuses animations, mettant en valeur la filière cuir, sa créativité et ses métiers de la main,. 

 

Coproduit de l’industrie agroalimentaire, le cuir est une matière naturelle qui porte en elle une logique d’économie circulaire. Chaque année, la filière française valorise ainsi plus 160 000 tonnes de peaux, soit vingt fois le poids de la Tour Eiffel. 

 

L’espace du Salon MIF, baptisé “Made In Cuir”, occupant 75 m² au cœur de l’espace mode et accessoires du Salon était piloté par l’Alliance France Cuir, confédération professionnelle française dédiée à la filière cuir, fondée en 1948 et anciennement dénommée Conseil National du Cuir. 

 

L’Alliance France Cuir porte la voix de 21 fédérations professionnelles, unies par la passion du cuir et de ses savoir-faire d’excellence. Rencontre avec son directeur général, Marc Brunel pour tenter de percer les secrets d’une matière qui ne cesse de fasciner. 

 

LUXUS MAGAZINE : Nous sommes sur le stand Made in Cuir au sein du Salon du Made in France. Pourquoi Alliance France Cuir a-t-elle intérêt à participer à ce Salon grand public ? 

 

Marc Brunel : Si l’Alliance France Cuir et la filière française du cuir sont aujourd’hui représentées sur cet espace Made in Cuir, sur le stand Made in France, c’est pour valoriser, expliquer, sensibiliser les clients finaux, sur les valeurs de notre matériau et plus globalement sur l’ensemble de notre chaîne de valeur.  Cette matière extraordinaire qu’est le cuir existe depuis des dizaines de milliers d’années et n’a pas cessé d’évoluer au fil du temps pour se conformer aux goûts et aux attentes de l’époque. La France possède un vrai savoir-faire en la matière, puisque les articles en cuir relevant du très très haut de gamme sont fabriqués sur notre territoire. Le cuir sert aussi de base à la fabrication de nombreux articles de la consommation courante : on le trouve dans vos chaussures et votre maroquinerie, bien entendu, mais aussi dans vos bracelets de montre, votre canapé et sur vos vêtements. C’est une matière extrêmement polyvalente, polymorphe mais toujours d’excellence.

 

Sur cet espace Made In Cuir, nous voulons montrer les qualités intrinsèques du cuir, sa résistance, sa durabilité, sa réparabilité mais aussi expliquer les métiers qui travaillent cette matière. Car bien souvent, ce sont des métiers méconnus où l’artisanat occupe une place particulière mais pas exclusive : certains sont même issus de l’industrie. Ce sont des métiers où artisanat et industrie s’emboîtent parfaitement pour produire des produits extrêmement élaborés, luxueux et désirables.

 

Et puis dans cette chaîne de valeur, une fois que l’on a fabriqué le produit, il faut le distribuer. C’est pour cela qu’au sein de l’Alliance France Cuir et chez tous ses adhérents, nous nous intéressons à l’intégralité de la chaîne de valeur jusqu’à la distribution. Ce sont dans ces magasins physiques que la relation humaine et le conseil revêtent une importance première. Chez Alliance France Cuir, nous insistons sur ce maillage territorial des magasins qui distribuent  nos articles en cuir. Cette expérience client en boutique permet de se différencier d’un produit vendu de manière assez banalisée sur Internet. Dans une boutique physique, le conseiller de vente va pouvoir chausser l’acheteur, le conseiller sur son confort mais aussi sur sa durabilité ou tout simplement récupérer le produit en fin de vie pour l’aider à le réparer et trouver un bon cordonnier proche de ses souhaits. Au sein de notre association et dans notre confédération, les réparateurs, nos amis les cordonniers, vont donner une deuxième vie au produit. Voilà pourquoi nous insistons jusqu’au bout de cette chaîne de valeur. Le cuir est par excellence un matériau qui dure et qui se répare. Nous voulons sensibiliser le grand public à toutes ces valeurs que nous soutenons. 

 

LUXUS MAGAZINE :  Justement, en matière de sensibilisation, vous utilisez différents types de formats hyper ludiques. Est-ce que vous pourriez les présenter ?

 

Marc Brunel : Nous avons pensé le stand Made In Cuir de manière très didactique. Nous invitons le visiteur à emprunter le parcours de la matière, de la collecte de peaux jusqu’à l’acte d’achat. Nous avons donc une première animation où on découvre ce qu’est la peau, d’où elle provient. On découvre ce qu’est un coproduit animal, une notion assez obscure pour le grand public. Ensuite, on découvre les différents types de cuirs que l’on va pouvoir toucher au sein de notre cuirothèque : veau, agneau, reptile, autruche, poisson (galuchat)… On peut les appréhender dans des couleurs chatoyantes ou plus classiques. S’intéresser au cuir, c’est déjà une expérience sensorielle en soi.

 

On se dirige ensuite du côté de la création et du stylisme afin de percer le mystère des différents métiers. Qu’est-ce que la modélisation ou comment mettre en forme un sac par exemple via des outils informatiques et des logiciels extrêmement techniques ? On essaye ensuite de faire découvrir, via des ateliers, l’artisanat ou bien l’industrie. À quoi ressemble une usine aujourd’hui de chaussures ou de maroquinerie ? Petite expérience finale, nous avons même reproduit l’espace boutique. On y apprend comment se chausser, comment se déroule une prise de mesure de son pied dans une chaussure ou encore comment juger du bien-aller et de la cambrure d’un talon. 

 

LUXUS MAGAZINE : L’année dernière aussi, vous aviez mis en place un parcours similaire avec des petits quizz. Lors de cette précédente édition du Salon Made In France, qu’ avait été la réaction du public sur le stand et quelles avaient été les retombées ? 

 

Marc Brunel : Si je devais retenir un seul chiffre, ce serait celui de l’atelier de fabrication de figurines de vachettes en cuir. En 2023,  plus de 3000 vachettes ont été réalisées sur les 4 jours. Derrière l’aspect ludique de l’atelier, il s’agit de faire découvrir les métiers de la couture à travers la technique du nœud et de la coupe. Et là, le stand ne désemplit pas. Enfin, c’est un Salon qui marche extrêmement bien avec plus de 100 000 visiteurs, soucieux du Made in France et donc d’une fabrication locale. Notre thématique attire beaucoup le public. Ça a du sens et ça donne du sens. Nous avons plutôt de bons retours avec notamment ces ateliers dans un esprit Do it yourself. Beaucoup de visiteurs présents sur cet événement nous interrogent sur des envies de reconversion comme de quitter des postes de bureaux pour embrasser des métiers de la main qui font d’autant plus sens aujourd’hui. 

 

LUXUS MAGAZINE : Vous parlez des questions qui peuvent émaner de la clientèle. Quelles sont les sources de fascination que suscitent le cuir ?

 

Marc Brunel : Je dirais qu’il y a sans doute une petite méconnaissance du cuir. D’abord, nous expliquons aux visiteurs qu’il s’agit d’un produit issu de l’agroalimentaire et de l’élevage d’animaux pour la viande et le lait. Et la première question qui revient souvent consiste à savoir si l’on tue les animaux pour le cuir. Ce n’est évidemment pas le cas. Nous réexpliquons donc ce sujet et nous le replaçons dans son contexte. Il y a donc déjà une première phase d’étonnement. Ensuite, les questions concernent notre centaine de métiers liés au cuir, fort méconnus. Bien entendu le métier qui fait le plus rêver, c’est celui de styliste… sauf que les places sont rares. En revanche, il y a de vrais besoins sur d’autres métiers clés comme ceux de la fabrication. C’est le cas du métier de coupeur.  Ce métier nécessite une grande dextérité afin de couper le cuir de manière judicieuse, c’est-à-dire en fonction  de son aspect et de sa taille. Les métiers de la couture sont aussi des métiers très demandés. La curiosité liée aux métiers de la réparation s’est réveillée avec l’apparition en France du bon de réparation il y a un peu plus d’un an et qui permet de réparer son produit chez son cordonnier. On s’est mis à ressortir ses vieilles chaussures du placard en se disant que, non seulement, on peut les faire réparer mais qu’en plus on bénéficie d’une aide. 

 

LUXUS MAGAZINE :  Si j’en crois votre brochure, il y a derrière les métiers du cuir, l’idée de mêler les techniques artisanales et l’innovation de pointe. En quoi cela consiste-il ? 

 

Marc Brunel : Évidemment, notre avantage compétitif qui est reconnu à travers le monde c’est notre savoir-faire. Savoir travailler le produit, c’est la base de notre industrie et de notre artisanat. Mais évidemment, pour la fabrication de la chaussure au sac, on industrialise les outils de production tout en conservant cet artisanat. Et la logique fait que l’artisanat vient nourrir l’outil productif.

 

Or, cet outil, il faut faire évoluer. C’est pourquoi le métier intègre de plus en plus de technologies, de logiciels. Pour en citer quelques-uns, il y a la PAO (Programmation Assistée par ordinateur) et la CAO (Conception assistée par ordinateur) mais aussi l’impression 3D de produits et de prototypes. Pour éviter d’utiliser trop de matériaux et générer des déchets, on va plutôt utiliser la 3D pour réaliser les prototypes. C’est moins coûteux aussi bien en matériaux qu’en temps. On va donc utiliser des nouvelles technologies et introduire dans l’artisanat une certaine modernité. On retrouve ce mouvement au niveau des machines. Par exemple, la découpe peut se faire à la main, mais aussi via des machines à découpe laser ou à découpe cutter. On a en fait toute une technologie qui vient s’imbriquer dans nos outils de production. C’est là que réside tout le génie de la conception et de l’industrialisation et c’est aussi le cœur de notre activité. On peut aussi citer l’intelligence artificielle qui vient aujourd’hui beaucoup assister les créatifs afin de leur proposer de nouveaux produits. Cette intelligence artificielle jouera dans l’avenir un rôle prépondérant dans la conception de certains produits. Et ce, afin d’optimiser la matière comme les coûts de production et faire un produit toujours plus compétitif, mais dans les règles de l’art, puisque c’est l’essence même de notre industrie.

 

LUXUS MAGAZINE : Comment voyez-vous le développement de la filière cuir dans un court ou moyen long terme ?

 

Marc Brunel : Nous avons connu dix dernières très belles années, y compris pendant la Covid. Le secteur est même ressorti plutôt grandi de cette période délicate. Nous restons le quatrième exportateur mondial de produits à base de cuir. Nous avons donc une place extrêmement importante sur l’échiquier international, même si aujourd’hui les conditions économiques de nos premiers clients que sont la Chine et l’Amérique, sont très ralenties. L’industrie ressent aujourd’hui quelques difficultés. L’ensemble des acteurs entrevoient des pistes d’amélioration via l’augmentation de la qualité, de la traçabilité, dont la France est un des leaders. Si la qualité, la traçabilité et la transparence sont réunies, alors le produit ne pourra aller que mieux. Les acteurs en sont tous parfaitement conscients et tous sont orientés vers cela de longue date. Je pense toutefois qu’on assiste à une accélération de ce phénomène. Nous allons vers de l’extrême excellence pour nous différencier sur un marché actuellement assez chahuté.

 

LUXUS MAGAZINE : Comment la filière cuir française perçoit-elle l’élection de Donald Trump ? Certains acteurs vous ont-ils fait part de leur inquiétude quant au risque des taxes douanières ? 

 

Marc Brunel : Non, nous sommes surtout dans une phase d’étonnement et d’attente. Donald Trump a déjà été élu en 2016. Ses choix politiques sont les choix politiques que l’Amérique porte. Pour nous, les Etats-Unis restent un client important.  Ceci dit, l’appétence pour les produits made in France, et surtout pour les marques françaises, reste très solide en Amérique du Nord. C’est évidemment lié à leur économie locale et à la santé financière de leur économie. Mais nous ne voyons pour l’heure aucune menace directe : plus nous ferons un produit d’exception, plus nous resterons un produit désirable. Et je pense que c’est vers cette excellence qu’il faut tendre et pour laquelle nous nous battons chaque jour. 

 

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Photo à la Une : Alliance France Cuir

Victor Gosselin is a journalist specializing in luxury, HR, tech, retail, and editorial consulting. A graduate of EIML Paris, he has been working in the luxury industry for 9 years. Fond of fashion, Asia, history, and long format, this ex-Welcome To The Jungle and Time To Disrupt likes to analyze the news from a sociological and cultural angle.

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