Note de l’éditeur : Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition imprimée du numéro automne-hiver 2023 du magazine Luxus+. Cliquez ici pour voir le numéro complet.
Au cœur des Alpilles, se niche le domaine de Baumanière, situé au pied du célèbre village des Baux-de-Provence. Bientôt octogénaire, cette institution a accueilli tout le gotha mondial – dont la reine Elisabeth d’Angleterre en 1965 – et les célébrités continuent à y défiler. Auréolée de trois étoiles avec la venue du chef Glenn Viel, l’Oustau de Baumanière compte parmi les plus belles tables gastronomiques.
Si l’on fait votre anagramme, on obtient « adrénaline ». Est-ce que cela correspond à votre personnalité ?
Jean-André Charial : C’est drôle ! Effectivement, je suis un passionné, j’ai 78 ans et toujours l’envie, des projets. Je commence à penser que tout cela pourrait s’arrêter. Mon grand-père, Raymond Thuilier, est décédé à 97 ans. Idéalement, j’aimerais mourir aux fourneaux.
Vous aimez travailler en famille ?
Mon grand-père a débuté l’aventure en 1945, année de ma naissance. Un signe ? Ma fille Marie-Noëlie est née le 24 décembre, la veille de Noël. Elle travaille avec moi. Pour le moment, elle vient d’avoir un bébé et y consacre toute son attention. C’est une autre génération qui ne sacrifie pas sa vie de famille comme j’ai pu le faire ! Ma femme Geneviève, 72 ans, supervise les travaux, s’occupe de la décoration, des jardins, de la boutique…
Vous avez demandé au chef Glenn Viel de rejoindre Baumanière. En 2020, l’Oustau de Baumanière a retrouvé sa troisième étoile obtenue en 1954, puis perdue en 1990 après l’avoir conservée pendant trente-six ans. Qu’est-ce que cela change pour vous ?
L’Oustau est presque toujours complet. En fait, je ne sais pas si cela correspond à cette troisième étoile ou à la notoriété de Glenn. Il est devenu une rock star en se faisant connaître à Top Chef. Il a plein d’amis sur les réseaux sociaux et a amené une nouvelle clientèle. Les gens adorent Glenn et sont contents de faire une photo avec lui. J’ai investi 2,5 millions d’euros pour refaire la cuisine de l’Oustau. Le cadeau à Glenn pour la 3ème étoile ! Il jouit d’une grande liberté pour créer de nouveaux plats et il a un instrument de travail extraordinaire.
Baumanière est l’un des tous premiers Relais & Châteaux. Pensez-vous que ce concept de boutique-hôtel de luxe de charme avec parcs et jardins existera toujours dans cinquante ans ?
Oui, les Relais & Châteaux existeront toujours dans cinquante ans. Les clients aiment être dans une maison de famille qui a une âme et où ils ont un contact direct et privilégié avec le propriétaire et le chef.
Ils viennent et reviennent et des liens amicaux se nouent.
La mondialisation de la chaîne Relais & Châteaux est-elle positive ?
Les gens voyagent et apprécient de trouver un Relais & Châteaux à l’autre bout du monde. C’est un label qui correspond à des standards précis de qualité. Aujourd’hui, des fonds d’investissement s’offrent des hôtels splendides. Ils y nomment des directeurs qui ne restent pas en poste. Cela rend les lieux plus impersonnels.
Vous êtes diplômé d’HEC et, après votre passage au Waldorf Astoria à New-York, vous avez rejoint votre grand-père Raymond Thuilier pour l’assister dans la gestion et l’administration, en 1969. C’est un atout d’avoir fait HEC ?
HEC est une école généraliste qui ouvre l’esprit. La comptabilité, cela m’a toujours emmerdé ! Je ne suis pas un si bon gestionnaire, je sais lire un bilan, c’est utile… Je suis plutôt un créatif. Mon cœur bat plutôt du côté de la cuisine. J’ai conçu des centaines de plats comme « Les raviolis à la truffe et aux poireaux », « les rougets au vin rouge ». J’ai créé des jardins, des potagers et deux vignobles.
Votre vin « L’affectif », sur le principe de la biodynamie, est aussi une création à votre image ?
Le nom de ce vin est né d’une conversation avec Georges Wolinski qui, au sujet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, m’a dit : « Il carbure à l’affectif ». J’ai retenu ce qualificatif pour ma cuvée. J’aime les vignerons qui sont plus humbles que les cuisiniers. Ils sont bien ancrés dans la terre. C’est le climat qui commande la production, c’est une école de modestie.
Quelle est la clé du succès pour avoir du personnel compétent et fidèle ?
Ce qui leur importe c’est de ne pas faire de coupures au milieu de la journée. A l’Oustau, le personnel en cuisine a trois jours de congés pour 45 heures par semaine. Les serveurs travaillent de 8 heures à 16 heures ou le soir jusqu’à 23 heures. L’époque où je recevais des curriculums vitae tous les matins est révolue. Le covid a changé les mentalités. L’un de mes employés m’a annoncé récemment : « Je démissionne et je pars vivre six mois en Australie. Et après, on verra… »
Avez-vous un coup de gueule ? Les belles manières se perdent ?
Des clients débarquent en t-shirt, short et tongs au restaurant gastronomique. Ils ne veulent pas avoir trop chaud sur la terrasse ! Le soir, les hommes ne mettent plus de veste. Je ne parle même pas de la cravate… Je suis heurté par ce manque d’élégance qui s’est installé sur une dizaine d’années.
Vous pestez aussi contre les changements intempestifs de plats renvoyés sous prétexte d’allergies ?
Au moment de la réservation, nous demandons s’il y a des allergies. Certains clients nous envoient une très longue liste de contre-indications. A tous les services, tous les jours, nous devons faire des changements. Il ne faut pas de gluten, pas de lactose, pas de fruit à coque, pas d’agrume cru… C’est un nouveau phénomène qui prend de l’ampleur et perturbe notre travail. Aux Etats-Unis, des restaurants font désormais payer un supplément pour un changement de plat. Je pourrais l’envisager à l’Oustau !
Quels sont vos projets après la grande boutique, la chocolaterie, l’atelier de céramique, l’atelier de viennoiserie mis en place l’an dernier … ?
Mon prochain projet est une nouvelle entrée à Baumanière avec une vue sur les rochers. Il faudra marcher à travers un grand jardin au milieu des senteurs avant d’arriver à l’Oustau. Parfois, je regrette d’avoir fermé « La Place », le bistrot dans le village qui marchait vraiment bien, mais j’avais des problèmes de personnel. Le restaurant gastronomique, la Cabro d’Or, dirigé par Michel Hulin, permet de toucher un public plus large. J’envisage de créer un « Glacier Baumanière » aux Baux ou à Maussane. C’est en cours de négociation…
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Photo à la Une : © Glenn Viel et Jean-André Charial par Karel Balas