Si la candidate démocrate est élue à la présidence des Etats-Unis le 5 novembre prochain, elle serait la première femme d’origine asiatique et africaine, à accéder au poste suprême. Un nouveau défi pour cette personnalité brillante et combative qui a déjà réussi à briser le plafond de verre à plusieurs reprises et qui s’apprête à s’engager dans un débat houleux avec Donald Trump ce mercredi…
Amérique, Asie, Afrique : ces trois continents ont forgé la personnalité de la candidate démocrate à la présidence des Etats-Unis.
Kamala Harris est en effet née, le 20 octobre 1964, à Oakland, en Californie, de l’union de deux personnes remarquables respectivement originaires de Jamaïque, pour son père, et d’Inde, pour sa mère. Le premier, d’origine jamaïcaine, est un économiste aujourd’hui professeur émérite à l’université Stanford et la seconde, une biologiste et oncologue spécialiste du cancer du sein. Tous deux se sont rencontrés aux Etats-Unis, où ils étaient venus poursuivre leurs études, avant d’y fonder leur foyer.
Mais quand leurs parents se séparent, Kamala, âgée de sept ans et sa sœur Maya suivent leur mère au Canada, en 1976.
Après ses études primaires (dans une école francophone à Montréal) puis secondaires à Westmount (Québec), Kamala Harris fait son come-back en 1981 aux États-Unis, pour la suite de ses études supérieures. Avec succès : elle décroche une licence en science politique à l’université Howard, à Washington, puis un diplôme de Juris Doctor à l’École de droit Hastings de l’université de Californie, à San Francisco.
Un bel itinéraire fondateur
Lors de ses premières années, Kamala Harris est aussi fortement influencée par son grand-père maternel. Grâce à ce dernier, émissaire du gouvernement indien en Zambie, elle découvre le continent africain. Une connaissance enrichie par des vacances dans sa famille jamaïcaine. Des séjours en Inde dans la parentèle maternelle complètent sa formation cosmopolite.
Ce bel itinéraire fondateur a permis à Kamala de découvrir le monde à travers différentes cultures mais aussi les Etats-Unis, de la côte Est à la côte Ouest.
Ce qui semble un atout de l’avis de beaucoup a cependant été vivement pointé du doigt pendant la campagne présidentielle de 2020 par Donald Trump. Après avoir mis en exergue, ses origines indiennes et jamaïcaines, le républicain candidat à sa réélection a ainsi estimé que « Kamala Harris ne pourrait jamais devenir la première femme présidente, ce serait une insulte à notre pays ».
Pas de quoi décourager celle qui compte bien devenir la première américaine de deuxième génération à accéder à la Maison-Blanche.
Pour rappel, les américains de deuxième génération, soit des enfants nés aux Etats-Unis de deux parents étrangers, représentent 12 % de la population du pays.
Famille recomposée
Sur le plan privé, Kamala Harris n’a pas eu non plus un itinéraire lisse et classique.
Après une relation avec l’ancien maire de San Francisco, Willie Brown, dans les années 1990, puis une courte histoire avec l’acteur Montel Williams en 2001, elle trouve enfin le grand amour avec celui qui devient son époux en 2021, Doug Emhoff, l’avocat du tout Hollywood. Elle devient la belle-mère de ses deux enfants, Cole, né en 1994, et Ella, née en 1999. Ces derniers se sont déclarés ravis que Kamala s’entende si bien avec leur propre mère.
Une pionnière
Si Kamala Harris décroche, le 5 novembre prochain, la présidence des Etats-Unis, ce ne serait pas la première fois, dans sa carrière, qu’elle se démarquerait, avec son profil atypique, comme la pionnière pour une charge exceptionnelle…
Kamala Harris a certes commencé sa carrière de façon assez classique en intégrant, en 1990, le barreau de Californie en tant qu’adjointe au procureur de district du comté d’Alameda.
Après différentes étapes dans ce parcours au sein de la justice américaine, elle a été élue en 2003 procureure du district de San Francisco avec 56 % des voix.
Elle devient alors, dans l’histoire américaine, à la fois la première procureure de district de couleur de Californie et la première femme à occuper cette fonction à San Francisco.
En 2010, Kamala Harris est élue procureure générale de Californie et réélue en 2014 pour un second mandat. Il s’agit, là encore, de la première femme à occuper ce poste de toute l’histoire des États-Unis.
En novembre 2016, après avoir bénéficié du soutien du président Barack Obama et du vice-président Joe Biden pendant sa campagne, elle est élue sénatrice démocrate des Etats-Unis, pour l’Etat de Californie. Rebelote : c’est la première sénatrice américaine d’origine indo-américaine et la deuxième sénatrice afro-américaine .
En 2020, après avoir tenté de se présenter elle-même à la présidence en tant que candidate démocrate, elle renonce, faute de moyens financiers et d’une côte de popularité encourageante.
Vice-présidente
Mais son soutien à Joe Biden lui vaut, une fois ce dernier élu, d’être la première femme, ainsi que la première personne afro-américaine et asio-américaine à accéder à la vice-présidence des États-Unis.
Cette responsabilité lui vaut d’exercer, certes très brièvement, (moins d’une heure et demi !), le 19 novembre 2021, les prérogatives de la présidence des États-Unis durant un examen médical de Joe Biden, dont l’état de santé fait couler beaucoup d’encre. Harris est ainsi la première femme à assurer un tel intérim !
Ce très court épisode était-il le prélude d’un exercice plus pérenne de cette fonction ?
Le 21 juillet dernier, après de longues semaines d’atermoiements et de critiques, Joe Biden a finalement décidé de renoncer à un second mandat et de soutenir la candidature de sa vice-présidente.
Si elle est élue, Kamala Harris serait la première femme, avec de telles origines mélangées, à occuper ce poste suprême.
Pas que des amis…
Reste à convaincre une majorité d’américains qu’elle est la personne capable, comme elle l’a promis, le 22 août dernier, dans son discours d’investiture par le parti démocrate, de tous les unir autour de leurs « plus grandes aspirations ».
Or, avec un positionnement progressiste mais pas laxiste, des prises de décision ou de position parfois désavouées par la gauche de son parti, Kamala Harris n’a pas que des amis.
Au début de sa carrière professionnelle, elle a souffert d’un premier caillou dans sa chaussure.
En 1994, elle se voit en effet confier des charges à la cour d’appel de l’assurance chômage et à la commission de l’assurance médicale par le président de l’Assemblée de l’État de Californie, Willie Brown…avec qui elle a une relation amoureuse.
Il rompt lorsqu’il est élu maire de San Francisco en 1996 et deux ans plus tard, elle est choisie par le procureur du district de San Francisco à la tête du département des enquêtes criminelles.
Il n’empêche, l’épisode 1994-1996 a fait l’objet de critiques acerbes.
Willie Brown a lui-même admis, des années plus tard, qu’il « pourrait avoir aidé la carrière » de Kamala Harris. Celle-ci s’en est défendu farouchement, affirmant qu’elle « ne lui devait rien ».
Crise des subprimes
Sur un autre plan, après la crise des subprimes de 2008, cause de la ruine de nombreux américains, Kamala Harris a négocié, en tant que procureure générale de Californie, un accord pour cet État avec les trois plus grands fournisseurs d’hypothèques, les banques Wells Fargo, JPMorgan Chase et Bank of America. A la clef : une réduction de dette de 12 milliards pour des propriétaires californiens et 18 milliards d’aides financières.
Et pourtant, elle a été critiquée à gauche pour son manque de sévérité vis-à-vis des acteurs financiers. Exemple de cette “bienveillance”: l’équipe anti-fraude hypothécaire créée par ses soins n’aurait traité que trois cas en dix ans…
Fermeté et approche sociale
En matière de justice, lorsqu’elle était procureure générale de Californie, elle a su faire preuve d’un mélange de fermeté et d’approche sociale, qui a pu décontenancer.
Dans la lutte contre la drogue, elle a ainsi lancé un programme visant à réduire la récidive des primo-délinquants condamnés pour des infractions non assorties de violences. Mais elle a aussi refusé de se joindre aux États souhaitant retirer la marijuana de la liste fédérale des substances jugées les plus dangereuses.
Dans les critiques à l’encontre de Kamala Harris, figure aussi celle ne pas avoir assez fait pour lutter contre les discriminations et les violences policières contre les personnes de couleur.
Elle a pourtant mis en place les premiers programmes dans l’État de Californie, englobant la publicité des données sur les décès au cours d’arrestations ou en prison, des enquêtes sur les pratiques des policiers, l’usage de caméras-piétons pour les agents du département de la justice et la formation du personnel judiciaire aux biais inconscients.
Gestion de la crise migratoire
En ce qui concerne le dossier brûlant de l’immigration, en tant que vice-présidente, Kamala Harris ne s’est en revanche pas montrée aussi ferme que le souhaiteraient certains américains, y compris démocrates.
Certes, lors d’une visite au Guatemala en juin 2021, elle avait enjoint les candidats à une immigration illégale de ne pas se rendre aux États-Unis, car ils en seraient “ renvoyés”.
Mais deux mois plus tôt, sa gestion de la crise migratoire à la frontière mexicaine avait été très critiquée. La « politique plus humaine » qu’elle avait alors revendiquée n’aurait pas été à la hauteur de la situation, encourageant les migrants à rejoindre en masse les Etats-Unis.
Autre terrain très clivant et actuel : celui du conflit au Moyen Orient. Contrairement à l’aile gauche des démocrates, Kamala Harris a apporté à plusieurs reprises son soutien à l’Etat d’Israël.
Cela ne l’empêche pas de défendre, en politique intérieure, des causes considérées comme à gauche, comme l’interdiction des fusils d’assaut, le droit à l’avortement, la lutte contre le changement climatique, l’augmentation du salaire minimum, la réforme de la justice pénale…
De façon générale, son positionnement jugé trop progressiste par certains et trop conservateur par d’autres, ne fait pas d’elle une personne très consensuelle.
Une cote de popularité qui fait le yoyo
Sa côte de popularité en a souffert par le passé.
Fin 2019, lorsqu’elle envisage déjà de se présenter à la Présidentielle, les intentions de vote en sa faveur sont descendues autour de 3 %. Quelques mois plus tôt, elle était pourtant proche dans les sondages de Jo Biden, l’autre candidat démocrate.
Mais pour ces nouvelles présidentielles, c’est le schéma inverse qui semble se présenter.
En novembre 2021, elle ne récolte que 28 % d’opinions favorables selon un sondage d’USA Today/Université Suffolk. Ce qui en fait la vice-présidente la moins populaire de l’histoire contemporaine des États-Unis !
Mais en juin dernier, sa côte de popularité était remontée à 42 %.
Et le 5 septembre dernier, le quotidien suisse le Temps, calculant les moyennes de sondages nationaux Outre-Atlantique, mettait en évidence une avance de 3,7 points pour Kamala Harris face à Donald Trump.
Il reste cependant encore deux mois avant les élections, le 5 novembre prochain. Rien n’est gravé dans le marbre et Kamala Harris devra encore mobiliser son tempérament combatif pour essayer de gagner la partie face à un Donald Trump réputé pour sa pugnacité.
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Photo à la Une : © US Ambassy & Consulates in Germany