Si grecs, romains et égyptiens n’ont pas été les derniers à festoyer dans une tenue immaculée, le phénomène des soirées en blanc, plus récent, prends sa source au sortir des années 1970 sur les rives de la Mediteranée, à Saint-Tropez avec un certain Eddie Barclay. Depuis le format pensé par “l’empereur du microsillon” s’est emballé se déclinant aussi bien en soirées clubbing qu’en pique-nique et autres dîners pour particuliers comme pour les entreprises.
Chaque année, entre mi juin et fin août, un drôle de rituel festif se réveille : les Soirées Blanches. De Reims à Chantilly en passant par Paris, Nice et Monaco, nombreuses sont les villes tenir leur nocturne toute de blanc vêtue. Mais si nightclubs, jardins, châteaux ou plages privées revendiquent ce sens de la fête, il est un lieu où il possède une saveur toute particulière. Son nom ? Saint Tropez.
Brigitte Bardot n’a pas seulement révélé au grand public ce petit port de pêche du Var prisé des impressionnistes comme Paul Signac, Henri Matisse ou Robert Delaunay. Elle a également attiré l’œil d’un célèbre producteur de musique.
Descendant d’auvergnats montés à Paris, Eddie Barclay, fils de garçon de café, termine en beauté sa carrière, laquelle a connu un succès retentissant grâce à l’importation des Etats-Unis d’une technologie révolutionnaire : le microsillon.
Noceur impénitent – 8 mariages en 84 ans d’existence – Eddie Barclay, fondateur du label musical Barclay, contraint de relâcher le rythme suite à la découverte d’un cancer de la gorge, veut partager sa flamboyante réussite avec ses nombreux amis. Il décide d’organiser une soirée d’un nouveau genre – instagrammable à souhait, avant l’heure – dans sa somptueuse villa surplombant le golf de Saint Tropez et édifiée au début des années 1980 : le concept des Soirées Blanches était né.
500 invités par an
Lorsque les Nuits Blanches débarquent, Eddie Barclay vient alors tout juste de céder sa maison de disques éponyme au label Polygram.
Figurant parmi les découvreurs de talents les plus prolifiques de la variété française des années 1950 aux années 1970, il se met en quête d’un refuge sur la presqu’île de Saint Tropez. Il fait construire dans les années 1980 sa résidence sur un terrain repéré vingt ans plus tôt, au bout de la plage de Pampelonne, à proximité immédiate de Saint-Tropez. Le producteur est d’ailleurs un familier de ce petit village varois, puisqu’il a commencé par louer une villa dans la presqu’île dès les années 1950, à La Capilla puis La Forge dans les Parcs.
La Villa du Cap (Camarat) qui mettra vingt-cinq ans avant de sortir de terre, il la voit d’emblée comme une demeure “conçue pour recevoir, à la manière d’un show ou d’une comédie musicale” comme aime à le rappeler sa huitième et dernière épouse, Caroline Barclay.
Construite sur un seul niveau, la demeure s’inspire des mas provençaux. Outre six chambres, elle est dotée d’un héliport et d’une centaine de hauts parleurs disséminés un peu partout.
La villa ne va pas tarder à devenir le théâtre de fêtes somptueuses orchestrées par un Eddie Barclay plus flamboyant que jamais.
La première “fête en blanc” est inaugurée le 15 août 1982, clin d’oeil au style vestimentaire signature du maître des lieux. Dress Code des invités, scénographie, art de la table… tout se prête, le temps d’une soirée, à cet immaculé concept.
Le fêtard et noceur impénitent convie alors chaque 15 aout près de 500 invités pour célébrer la Saint Jean à sa façon.
Aux anonymes se mêlent ses fidèles et célèbres amis ou protégés comme Rhoda Scott, Garry Cowl, Johnny Hallyday, Charles Aznavour, Henri Salvador, Roman Polanski, César, Michèle Morgan ou encore Philippe Lavil. C’est lui qui, bien avant Philippe Bouvard et Thierry Ardisson, a la riche idée de mêler en une même soirée artistes, hommes d’affaires, hommes politiques, médecins et sportifs.
Mais le parterre d’invités de prestige ne serait rien sans le sens du spectaculaire d’Eddie Barclay. Les buffets sont servis à même l’assiette par une dizaine de chefs étoilés, l’orchestre des 17 musiciens de la formation de Count Basie joue sur la terrasse tandis que les Gypsy Kings reçoivent les convives à l’entrée. A cela s’ajoutent des danseuses brésiliennes et un son et lumière de haute volée réglé avec Jacques Rouveyrollis, le tout couronné par un feu d’artifice. Autant dire une rareté à l’époque pour une soirée privée.
Et quand le maître des lieux ne tient pas sa soirée annuelle, il commence par déambuler au Café des Arts, Chabichou, Pizza Romana, Bistrot des Lices, avant de s’engouffrer aux Caves du Roy, lesquelles abritait le Barclay’s Club, un espace privé où se retrouvaient ses amis inconditionnels du pétanque-billard.
Toute cette frénésie nocturne est à retrouver dans » Que la fête continue » (Cogite, Robert Lafont, 1988), l’autobiographie du jet-setteur en blanc ou encore dans une exposition photo exceptionnelle, Place Blanqui, Square de Lattre de Tassigny, Place Celli à Saint-Tropez et ce jusqu’au 12 octobre 2025.
Phénomène mondialisé
Lorsqu’Eddie Barclay, disparaît, le 13 mai 2005, il est ruiné et sa piscine en forme d’île se sent bien esseulée. Jean Roch, le dj et propriétaire du club VIP Room a eu l’honneur de mixer lors des quatre dernières Nuits Blanches officielles. Le concept se maintient tant bien que mal au Before de Monaco, sous l’égide de Guillaume, du fils photographe du disparu. De son côté, le chef Christophe Leroy poursuit le leg de son mentor décédé en organisant chaque été une grande Soirée Blanche au restaurant Les Moulins de Ramatuelle, pour lancer la saison tropézienne.
Entre-temps, les Soirées Blanches se démocratisent : clubs, plages privées et festivals ne tardent pas à capitaliser sur le concept créé par Eddie Barclay pour se donner une image plus chic et élégante et faire de le plein d’aspirants Beautiful People. D’autant que le blanc, couleur de la pureté, permet également de gommer la hiérarchie sociale. Participer à ces soirées c’est d’abord être vu et montrer que l’on en est.
La Soirée Blanche quitte même sa sphère festive d’origine pour s’ouvrir à d’autres formats événementiels comme des afterworks, des séminaires de team building ou encore des cocktails dînatoires. Ainsi, le Domaine Les Crayères à Reims a organisé le 14 juin dernier sa 13e Soirée Blanche. Au programme 4000 bouteilles de champagne sabrées, une scène de concert live ( Rosace, LEJ et Circus Music) suivi d’un Dj set. De son côté, le même jour, le château de Chantilly a accueilli son sixième Pique-Nique en Blanc. Notons également que le concept fait la joie du Château Bel-Air à Sainte-Croix du Mont, dans le Sud-Ouest de la France.
Le concept offre au moins deux atouts de taille. Tout d’abord sa plasticité, une soirée blanche pouvant aussi bien éclore sur un rooftop urbain que dans une fête de village. C’est également un format qui sied parfaitement à l’ère des réseaux sociaux, l’omniprésence du blanc rendant l’évènement aussi bien photogénique qu’épuré et lumineux. D’ailleurs, la tonalité blanche a l’avantage de sublimer autant que d’éclaircir les visages.
Plus que le simple dress code, une Soirée Blanche invite à penser toute une scénographie avec des accents très cinématographiques. Si le phénomène ne semble pas prendre de ride, c’est que la Soirée Blanche évoque tout aussi bien le charmant climat méditerranéen, la décontraction estivale, la fraîcheur et l’élégance.
En 2018, les Nuits Blanches s’affichent le temps d’une séquence dans le film Silvio et les autres du réalisateur italien Paolo Sorrentino.
Depuis le 4 juillet 2021, les Nuits Blanches font de nouveau parler d’elles de manière flamboyante et de l’autre côté de l’Atlantique avec la White Party du milliardaire Michael Rubin. Dans sa villa des Hamptons, acquise pour 50 millions de dollars en 2020, le pdg de la marque Fanatics – un des leaders mondiaux des vêtements de sport – rassemble, chaque année, le jour de la fête nationale américaine une brochette de célébrités toujours plus prestigieuses venus du cinéma, de la musique, de l’influence et du sport. L’édition 2023 avait ainsi convié Kim Kardashian, Leonardo DiCaprio, Kylian Mbappé, Jay-Z, Jennifer Lopez et Ben Affleck.
Le concept a même traversé les frontières et gagné des régions non occidentales, soit là où le blanc n’est pas nécessairement une couleur à connotation joyeuse ou maritale. C’est le cas de Dubaï qui au sein de son restaurant Verde Beach qui propose chaque mercredi soir ses propres Soirées Blanches ou encore de Bangkok en Thaïlande qui organise une gigantesque White Party laquelle est considérée comme la plus grande soirée gay de nouvelle an au monde.
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Photo à la Une : © Château Bel Air