Le Comte de Monte Cristo : le vengeur masqué séduit toujours autant

Le Comte de Monte Cristo, nouvelle superproduction française signée Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte –  scénaristes sur la dernière adaptation à succès des Trois Mousquetaires – constitue l’un des meilleurs démarrages de la saison estivale. Derrière ce succès littéraire et cinématographique, c’est la figure ambivalente du Comte, en quête d’un bonheur perdu et consumé par l’idée de se faire justice lui-même, qui fascine toujours autant. Décryptage. 

 

Sorti le 28 juin dernier – un vendredi, autant dire un traitement de faveur – le Comte de Monte Cristo cumule déjà plus de 3 millions d’entrées en deux semaines d’exploitation ! Un succès d’estime qui se retrouve également sur le réseau social Tiktok (1400 publications à date autour du film) et même en librairie.

 

Le chef d’œuvre d’Alexandre Dumas a ainsi vu ses ventes d’ouvrages multipliées par quatre entre juin et juillet 2024, par rapport à l’année dernière, selon le Syndicat des libraires. Gallimard anticipe même la multiplication des ventes par dix sur la période d’exploitation du film, a confié  au magazine Télérama Blanche Cerquiglini, éditrice et responsable des collections Folio classique. 

 

Mais au-delà du succès en salle, qu’est-ce qui explique un tel attrait pour cette histoire bien plus sombre que celle des Trois Mousquetaires ? Et si la clé était à chercher dans son héros ou plutôt son anti-héros, Edmond Dantès, prototype des superhéros que pondront bien plus tard les Marvel et autres DC Comics. 

 

Une injustice intemporelle 

 

La figure du comte de Monte Cristo entre en résonance avec des thématiques clés du débat public actuel comme la défiance envers l’élite et notamment la justice, le pouvoir fascinateur et corruptible de l’argent, la définition de l’amitié, le combat pour l’égalité et la lutte contre les injustices ou encore plus lumineux, la quête de bonheur et l’impérieux besoin de se réaliser

 

Car l’ouvrage publié à l’été 1844 commence là où Walt Disney et consorts préfèrent conclure leurs histoires : une happy end. Edmond Dantès, second sur le navire Le Pharaon est promis à un brillant avenir tant professionnel (tout juste promu capitaine) que sentimental. Sans compter qu’en plus de l’amour véritable qu’il commence à goûter avec délice (avec Mercedes Herrera), Edmond Dantès a trois très bons amis (Danglars, Fernand Mondego et Gaspard Caderousse)… du moins le croit-il. 

 

© Chapter 2 – Pathé France

 

Or, arrêté le jour de ces noces, il est accusé à tort d’un complot bonapartiste visant à renverser la restauration du pouvoir royal incarné par Louis XVIII. Il semble que ses fidèles compagnons d’hier, soudain dévorés par la jalousie, la vanité et la concupiscence conçoivent sa fulgurante ascension comme intolérable. 

 

Jeté en février 1815 dans les geôles impénétrables du château d’If, au large de Marseille, il ressasse du fond de sa cellule ses belles années envolées. Il trouve néanmoins en l’abbé Faria, prêtre érudit, un fidèle compagnon d’infortune. Au seuil de la mort, ce dernier lui confie son inestimable secret : l’emplacement d’un fabuleux trésor sur l’île italienne de Montecristo, au large de la Corse. Suite à une périlleuse évasion par les profondeurs marines, quatorze ans après son emprisonnement, il parvient à gagner la mystérieuse île au trésor. 

 

Désormais porté pour mort, ce Comte de Monte Cristo, riche à millions et caché sous des noms d’emprunts, n’aura de cesse de retrouver les traîtres et se venger méthodiquement de chacun d’entre eux. Chacun d’entre eux cumulant d’ailleurs les responsabilités et les faveurs non méritées au sein des pouvoirs financiers, politiques et militaires. Sans compter que l’un d’eux a réussi à conquérir le coeur de sa belle. 

 

Malgré son noir dessein, le comte de Monte Cristo trouvera en chemin la grâce et viendra en aide à certaines personnes qui sans lui, auraient été promis à un funeste destin. Le vengeur masqué, motivé par ses seuls ressentiments, se révèle ainsi un bon samaritain. 

 

Un fait divers étrangement similaire

 

Si cette histoire marquée du sceau de l’infamie bénéficie de nombreux détails et facilite ainsi l’identification à ce jeune premier foudroyé en plein vol, c’est que le personnage d’Edmond Dantès est librement inspiré d’un fait divers baptisé « Le Diamant et la Vengeance », déjà publié sous une forme sans doute romancée en 1838

 

En lieu et place de l’officier de marine, Pierre Picaud (un nom qui cependant a tout lieu de tenir de l’imagination de son auteur) un “cordonnier en chambre” de Nîmes est sur le point d’épouser la belle et très riche Marguerite Vigoroux. Mais un de ses “amis”, Mathieu Loupian, tenancier de cabaret, veuf avec deux enfants, lorgne la dot de Marguerite. 

 

Lorsque Pierre vient le voir pour commander un repas de noces pour douze personnes, Loupian fait le pari qu’il retardera la fête avec l’appui d’un commissaire, client habituel. Avec la complicité de deux clients du troquet, Solari et Chaubard, il accuse à tort Pierre Picaud d’être un espion et un agent royaliste à la solde de l’Angleterre.

 

Arrêté comme Edmond Dantès le jour de ses noces et emmené dans le plus grand secret, Picaud est enfermé sept ans au sein de la non moins impénétrable forteresse alpine de Fenestrelle (aujourd’hui dans le Piémont, en Italie, d’où viendrait la légende de l’homme au masque de fer) sans rien connaître du motif de son arrestation. 

 

Au cours de son emprisonnement, il se lie d’amitié avec un prêtre italien détenu, le père Torri. Un an plus tard, celui-ci meurt et lui lègue par testament un trésor caché à Milan. 

 

Vieilli, malingre, Picaud prend le nom de Joseph Lucher. Il s’empare du trésor et met au point sa vengeance contre ses anciens amis. Déguisé en ecclésiastique, il se fait passer pour un certain abbé Baldini et retrouve à Nîmes une vieille connaissance, Allut, qui, en échange d’un gros diamant, lui raconte l’histoire de sa dénonciation motivée par la seule jalousie.

 

Apprenant que Loupian s’est acheté un café boulevard des Italiens avec la dot de Marguerite Vigoroux, qu’il a épousée deux ans auparavant, Picaud poignarde Chaubard et ruine Loupian : un prétendu prince de Corlano séduit la fille de Loupian, l’engrosse et lui demande sa main. Le jour de leurs noces, Corlano envoie un billet à chacun des 150 invités qui révèle qu’il est un ancien galérien. La famille est déshonorée. Le fils Loupian saoulé est retrouvé sur les lieux d’un cambriolage et condamné à vingt ans de travaux forcés, tandis que le café de Loupian est incendié. Solari est quant à lui retrouvé empoisonné. 

 

Un rôle transformateur

 

Pour ce qui est à ce jour au moins la cinquantième interprétation d’Edmond Dantès, le co-réalisateur avait une condition sine qua none : confier à l’acteur Pierre Niney le rôle de cet homme solaire et vulnérable changé par la captivité. 

 

Un rôle tout en nuance, celui d’un homme constamment tiraillé entre le bien et le mal

 

Sur le plateau du 20 heures de TF1, l’acteur français a déclaré « Dans ma vie personnelle d’acteur et même intime, il y a eu un avant et un après de ce tournage. C’est une aventure démentielle ». 

 

© Chapter 2 – Pathé France

 

Pour s’imprégner d’un personnage voulu par les réalisateurs comme “charismatique” et “mystérieux”, l’acteur révélé dans le film Yves Saint Laurent a comme à son habitude travaillé en musique, écoutant les orchestrations grandioses et énigmatiques de Max Richter, mondialement connu notamment pour son interprétation épique des quatre saisons de Vivaldi (2012). 

 

Se donner corps et âme pour des rôles comme ça, je trouve que c’est le minimum de politesse, déjà pour les spectateurs, parce que c’est une œuvre incroyable” déclare le comédien de 35 ans et d’ajouter “Ça explore ce que l’homme a de meilleur et ce que l’homme a de pire, ce qu’il y a de plus noir”. 

 

Le tournage a eu des airs marathons avec “une discipline de fer” consistant notamment en un amaigrissement forcé. Loin d’être une contrainte, “cela aide à incarner des personnages aussi riches et complexes qu’Edmond Dantès” a confié Pierre Niney.

 

L’incarnation du personnage a demandé des heures de préparation, ne serait-ce que pour le maquillage (plus de cent-cinquante heures). Le comédien a dû accompagner son personnage dans son vieillissement comme dans son changement vestimentaire. Une transformation telle que ses parents ne l’auraient pas reconnu à l’écran !  

 

Les réalisateurs ont d’ailleurs fait le choix de la métamorphose à travers de véritables masques présents à l’écran à la manière des super-héros américains, du jamais vu dans les nombreuses adaptations de ce classique de la littérature !

 

A ceci près que le Comte n’est pas un Bruce Wayne ou un Robin des bois comme l’a précisé le co-réalisateur Matthieu Delaporte. “Monte­-Cristo n’est pas un Robin des bois. C’est quelqu’un qui a tout l’argent du monde, mais il ne le donne pas. Il le consacre à sa vengeance. C’est un héros totalement moderne dans cette dimension individualiste, égoïste.”

 

 

Lire aussi > Les Trois Mousquetaires : un blockbuster français plein de panache

 

Photo à la Une : © Chapter 2 – Pathé France

Victor Gosselin is a journalist specializing in luxury, HR, tech, retail, and editorial consulting. A graduate of EIML Paris, he has been working in the luxury industry for 9 years. Fond of fashion, Asia, history, and long format, this ex-Welcome To The Jungle and Time To Disrupt likes to analyze the news from a sociological and cultural angle.

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