Les élections européennes de juin 2024 ont concrétisé la montée du nationalisme et du populisme sur le Vieux-Continent. Face aux crises économiques, sociales et politiques, les partis d’extrême-droite gagnent de plus en plus de popularité en prônant le protectionnisme et l’euroscepticisme. Cette montée en puissance pose des défis majeurs à la cohésion et aux valeurs démocratiques de l’Union européenne.
Lors des dernières élections européennes de juin 2024, l’extrême droite a consolidé sa position en envoyant plus de 180 eurodéputés au Parlement européen. Les partis eurosceptiques et nationalistes ont gagné du terrain dans la majorité des États membres, notamment en France et en Autriche.
Depuis les années 2000, l’Europe a été témoin d’une ascension rapide des partis d’extrême droite, caractérisés par leur populisme et leur euroscepticisme. Cette tendance s’est particulièrement manifestée en Italie, en Hongrie, en Pologne, en France et aux Pays-Bas, où ces partis ont gagné en popularité et ont souvent réussi à accéder au pouvoir, influençant ainsi le paysage politique européen.
L’ascension de l’extrême droite en Europe est marquée par diverses percées électorales significatives. En Hongrie, le parti Fidesz de Viktor Orbán, au pouvoir depuis plus d’une décennie, a consolidé sa position avec une majorité écrasante aux élections de 2022, remportant 59 % des sièges parlementaires grâce à un fort soutien des zones rurales.
Le Portugal a vu le parti Chega (en français : Ça suffit) faire une percée historique en 2024, obtenant plus de 18 % des voix aux élections législatives de 2024. Aux Pays-Bas, le PVV de Geert Wilders, souvent baptisé le « Trump néerlandais », a remporté 37 sièges au parlement en novembre 2023, illustrant une montée continue de l’extrême droite dans le pays.
En Pologne, le parti Droit et Justice (PiS) est arrivé au pouvoir en 2015 et reste un acteur central malgré une légère baisse de soutien aux élections législatives de 2023 tandis qu’en Suède, les Démocrates Suédois sont devenus le deuxième plus grand parti en termes de voix aux législatives de 2022, avec un fort soutien parmi les électeurs moins éduqués et les zones rurales.
Montée fulgurante
Alors que les partis d’extrême-droite ont connu leurs premiers succès électoraux dans les années 1990, plusieurs facteurs expliquent cette percée.
« C’est une réaction à la mondialisation économique et à la crise de la représentation politique, la défiance à l’égard des partis politiques traditionnels perçus comme impuissants », explique Nonna Mayer, chercheuse en sciences politiques au Centre d’études européennes de Sciences Po. Au cours de la décennie 2010, des facteurs conjoncturels sont venus s’y ajouter, comme « la récession de 2008, la crise des réfugiés de 2015 ou les attentats terroristes islamistes », énumère la spécialiste.
Après la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine a ensuite déclenché une crise énergétique et une forte inflation, réduisant le pouvoir d’achat de nombreux citoyens.
Ces crises ont également accentué les inégalités entre riches et pauvres. Entre 2017 et 2021, les 1 % des Français les plus pauvres ont vu leur niveau de vie baisser de 0,17 % par an, tandis que les 1 % les plus riches ont connu une hausse de près de 3 % par an. En Allemagne, une étude a révélé que plus le revenu d’une personne est faible, plus elle est susceptible de développer des tendances populistes. Ainsi, une augmentation de la pauvreté pourrait entraîner une hausse des votes pour l’extrême-droite.
Retour vers le futur
Les partis d’extrême droite en Europe partagent plusieurs caractéristiques clés : un nationalisme affirmé, un conservatisme social prononcé et une forte opposition à l’immigration. Ils critiquent souvent l’Union européenne, la perçevant comme une menace pour la souveraineté nationale. Près de 60 % des sympathisants du Rassemblement National en France estimaient en 2022 que l’UE était préjudiciable.
Les partis d’extrême droite mettent en avant des thèmes tels que la restriction de l’immigration et la sécurité, attirant un électorat préoccupé par ces questions. En France, le Rassemblement National a capté 37 % des voix des ouvriers aux législatives de 2022, reflétant un mécontentement particulier dans les milieux sociaux défavorisés.
« Cette montée de l’extrême droite s’explique par une peur du changement de la part de certains citoyens et ils essaient de revenir à un passé qui n’existe plus », analyse Daniel Freund, eurodéputé allemand, membre du groupe Les Verts.
Un avis que ne partage pas Thierry Mariani, eurodéputé du Rassemblement national et membre du groupe Identité et démocratie au Parlement européen. « Ce vote, ce n’est pas revenir en arrière, mais c’est ne pas tout céder au futur. Cette poussée des partis nationaux, ce sont des citoyens qui croient dans l’Europe mais qui veulent que l’Europe respecte leur identité et leur histoire. »
Volonté de défendre les mœurs
Ces partis défendent également des valeurs traditionnelles, notamment concernant le modèle familial, ce qui implique moins de droits pour les personnes LGBT+. En Italie, le gouvernement Meloni a demandé en 2023 aux maires de ne plus transcrire automatiquement les actes de naissance des enfants nés de gestation pour autrui (GPA) à l’étranger, et cette directive a été étendue aux enfants nés par procréation médicalement assistée (PMA) par des couples de femmes.
Les droits des femmes sont aussi menacés sous les gouvernements d’extrême-droite, qui cherchent à restreindre l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En Pologne, l’avortement est autorisé seulement en cas de viol, d’inceste ou si la vie de la mère est en danger depuis 2020. En Hongrie, un décret de 2022 oblige même les femmes à écouter le cœur du fœtus avant de pouvoir avorter.
« Si ces droites radicales ont en commun leur autoritarisme et leur nationalisme, elles portent des valeurs économiques et culturelles différentes », explique Nonna Mayer. En Hongrie et en Pologne, « les droites radicales et populistes sont sur une ligne très conservatrice sur le plan des mœurs, qui n’est pas celle de Marine Le Pen mais qui se rapprocherait plutôt de celle de Marion Maréchal. Et elles sont plus libérales sur le plan économique. »
La démocratie touchée de plein fouet
L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite présente des risques pour la démocratie et les droits civils en Europe.
Des pays comme la Hongrie et la Pologne, dirigés par des partis d’extrême droite, ont vu leur indice de démocratie et la liberté de la presse décliner, selon plusieurs études. En outre, ces partis peuvent entraver la coopération européenne sur des questions cruciales comme le changement climatique, Geert Wilders et Marine Le Pen critiquant ouvertement les politiques environnementales internationales.
Au sortir des élections européennes de 2024, les partis d’extrême droite ont renforcé leur présence au Parlement européen. Ils défendent souvent la souveraineté nationale et s’opposent aux décisions majoritaires au sein du Conseil européen, prônant un maintien du veto national sur certains sujets stratégiques.
Danger pour l’économie ?
Qu’en est-il de leurs programmes économiques, souvent qualifiés de suicidaires ? Une étude récente publiée dans l’American Economic Review sur l’économie mondiale souligne que « les gouvernements populistes ont des conséquences négatives pour l’économie ».
Manuel Funke, Moritz Schularick et Christoph Trebesch de l’institut de Kiel ont examiné 1 500 gouvernements dans 60 pays entre 1900 et 2020, identifiant 51 cas de populisme. Ils définissent le populisme comme une stratégie politique où les dirigeants divisent la société entre « le peuple » vertueux et les « élites » corrompues.
Leur étude montre que sous les populistes, tels que Netanyahu, Duterte, Erdogan, Maduro, Modi, Morales, Zuma, Orban, et Trump en 2018, la croissance du PIB par habitant est inférieure de 0,6 point par an par rapport à des gouvernements ayant une politique économique différente. Après 15 ans, cette différence atteint 1 point de PIB par habitant chaque année, illustrant une « stagnation populiste économique ». Notons que la dette publique est de 10 points de PIB plus élevée après un tel règne.
Les populistes échouent souvent à améliorer le niveau de vie en privilégiant la croissance à court terme et en négligeant les risques inflationnistes. « Pour mettre en œuvre la « volonté du peuple », les populistes ont tendance à affaiblir les institutions, à limiter les droits des minorités, à modifier les règles constitutionnelles et électorales en leur faveur et à réprimer l’opposition politique », soulignent les chercheurs.
Cette dynamique crée un cercle vicieux où la faiblesse des institutions démocratiques alimente une détérioration continue de l’économie.
La montée du nationalisme et du populisme en Europe reflète une réaction complexe aux crises économiques, migratoires et sociales récentes. Ces mouvements politiques ont transformé le paysage politique européen, posant des défis significatifs à la cohésion et à la coopération au sein de l’Union européenne.
Photo à la Une : © Dessin de Luis Granena, paru dans le Financial Times