Nostalgie de l’enfance, chasse aux œufs, vitrines féériques… Pâques reste pour les maîtres chocolatiers français bien plus qu’un rendez-vous festif, une étape cruciale de l’année, aussi stratégique que gourmande. Mais derrière les lapins en praliné et les œufs à la nougatine, se cache une réalité économique de plus en plus tendue.
Véritable vitrine de l’excellence artisanale, Pâques est un moment où l’image de marque se travaille autant que la pâte de cacao. Sculptures monumentales, œufs à thèmes, recettes signatures : artisans chocolatiers et grandes Maisons rivalisent d’audace et d’inventivité pour se démarquer.
Mais cette débauche de créativité a un prix à l’heure où le cacao devient un produit de luxe. Les récoltes ont été particulièrement mauvaises en Côte d’Ivoire et au Ghana, deux pays où sont issus deux tiers de la production mondiale de fève de cacao.
Sans compter que produire ces pièces uniques demande temps, main-d’œuvre qualifiée, et matières premières de grande qualité – un luxe de plus en plus difficile à assumer.
Pâques n’est donc plus seulement une fête sucrée, c’est un marqueur de résistance artisanale. Dans un monde saturé de produits standardisés, le chocolat fait main, sincère et engagé mérite d’être soutenu. Car derrière chaque œuf décoré se cache une bataille silencieuse : celle de la qualité contre la quantité, du geste contre la chaîne, de la passion contre la pression.
Jusqu’à 20% du chiffre d’affaires annuel
En 2024, les ventes réalisées à Pâques représenteraient quelque 331 millions d’euros, et celles effectuées en décembre 711 millions d’euros, selon une étude de BPI France.
Dans les ateliers et boutiques de France, les cloches sonnent surtout comme une alerte business. En effet, la période de Pâques représente entre 15 et 20 % du chiffre d’affaires annuel pour de nombreux artisans chocolatiers. « C’est une saison où tout se joue en quelques semaines. On y concentre créativité, stock, communication, tout », confie un maître chocolatier parisien.
Selon le syndicat du chocolat, en 2023, les Français ont consommé plus de 15 000 tonnes de chocolat pour Pâques, pour un marché estimé à plus de 325 millions d’euros.
6,000 dollars la tonne
Là où le bât blesse, c’est sur le front des coûts. Depuis 2021, le prix du cacao a littéralement explosé, atteignant en février 2024 un record historique de 6 000 dollars la tonne, contre 2 400 dollars en moyenne trois ans plus tôt. En cause : le changement climatique, les récoltes décevantes en Côte d’Ivoire et au Ghana – qui représentent 60 % de la production mondiale – et une spéculation accrue sur les marchés.
Résultat : les marges fondent drastiquement, d’autant que les artisans refusent souvent de répercuter intégralement la hausse sur leurs clients. « On ne peut pas faire un œuf à 70 euros pour les familles, ce serait indécent. On serre les dents », déplore une chocolatière lyonnaise.
51 € en moyenne côté français
Alors que la chasse aux œufs reste un incontournable des fêtes de Pâques, les chiffres révèlent une réalité plus contrastée pour le marché du chocolat en France. En cause : une inflation galopante qui freine les ardeurs chocolatées. Selon l’UFC Que Choisir, le prix des douceurs pascales a bondi de 14 % sur un an, incitant les consommateurs à réduire leurs achats. Résultat : les volumes de chocolat achetés à Pâques sont en baisse continue depuis 2020.
Pourtant, l’attachement des Français reste fort. Le panier moyen atteint encore 51 €, selon une étude Bonial. Les moulages en forme de lapins ou cloches, bien que plus onéreux, séduisent 64 % des consommateurs, loin devant les œufs (50 %) et les fritures (17 %), pourtant les moins chères au kilo. Un paradoxe, quand on sait que le prix reste le premier critère d’achat pour deux Français sur trois.
En grande distribution, la guerre des prix fait rage : 70 % des ventes sont réalisées en supermarchés, qui misent sur des gammes bio, équitables et attractives.
Un tiers des ventes en faveur du chocolat noir
Bien plus que dans la plupart des autres pays européens, la préférence des français pour le chocolat noir s’explique en partie par ses vertus santé largement médiatisées : riche en antioxydants, faible en sucre, bon pour le moral… les arguments ne manquent pas pour séduire les consommateurs soucieux de leur bien-être.
D’après le Syndicat du Chocolat, 30 % des Français déclarent préférer le chocolat noir, contre à peine 5 % en moyenne dans le reste de l’Union européenne. Une différence marquée qui souligne l’attachement culturel des Français à un chocolat plus intense et raffiné.
La France dans le top 10 mondial des plus grands mangeurs de chocolat
Avec une consommation moyenne de 7 kg par an et par habitant, la France se hisse dans le top 10 mondial des plus gros consommateurs de chocolat. En tête du classement : la Suisse, avec 10,3 kg par habitant, suivie de l’Allemagne (9,2 kg) et du Royaume-Uni (8,4 kg).
3,5 milliards d’euros rien que pour la grande distribution
Autre facteur de fragilisation : la concurrence féroce de la grande distribution, qui inonde les rayons de chocolats industriels à bas coût, parfois importés d’Asie, souvent à base de succédanés. Une guerre des prix inégale, où l’artisanat lutte pour préserver sa place.
En 2023, les ventes annuelles totales de chocolat en grandes surfaces ont atteint 3,5 milliards d’euros, pour 334 000 tonnes écoulées, tandis que la consommation globale des ménages avoisinait les 9,8 milliards d’euros, d’après le Syndicat du chocolat.
La France, 3ème producteur européen
Si 92 % des français achètent du chocolat pour Pâques, seul un tiers le font chez un artisan. Le combat pour valoriser le “vrai” chocolat, fabriqué avec passion, traçabilité et qualité, est plus que jamais d’actualité.
Derrière cette passion, se cache une économie fragile : 90 % des entreprises du secteur sont des PME, représentant 30 000 emplois directs. La France, troisième producteur européen, pèse pour 10 % de la production continentale et se classe sixième exportateur mondial.
À Pâques, ces petites structures doivent se partager à peine un quart du chiffre d’affaires, dominé par les géants Ferrero, Lindt, Cémoi ou Mondelez, et les marques de distributeurs. Dans ce contexte, la fête du chocolat reste un rendez-vous stratégique… mais pas sans amertume.
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Photo à la Une : © Rodion Kutsaiev/Unsplash+