Paris 2024: pour la cérémonie d’ouverture, Thomas Jolly prouve qu’il est bien une bête de Seine

Thomas Jolly a inauguré en grande pompe les Jeux de Paris 2024. Livrant une partition grandiose et érudite des symboles parisiens et français, le jeune normand a délivré une cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques sans précédent dans l’histoire, qui d’emblée fera date. 

 

A jamais les premiers.”

 

Ce terme convient autant aux premiers médaillés olympiques de l’équipe de France et ce dès le 1er jour de la compétition (contre le 4e à Tokyo) qu’au metteur en scène de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et à ses fidèles acolytes en charge de la musique, des costumes et des chorégraphies. 

 

Les exploits de Shirine Boukli, première médaille officielle de la France (bronze au judo) et Luka Mkheidze (argent au judo) ou encore le nageur Léon Marchand, décrochant une première médaille d’or au 400 m quatre nages dès la deuxième journée, répondent au défi lancé à Thomas Jolly et Thierry Rebould

 

Salué par de nombreux médias internationaux tel Marca y voyant « la plus grande cérémonie de l’histoire » ou le tabloid britannique The Sun lançant un vibrant « Seine-sationnal » comme par le CIO, la cérémonie d’ouverture qui s’est déroulée dans la Ville Lumière le vendredi 26 juillet dès 19h30 a délivré une performance grandiose valorisant toute la richesse du savoir-faire français. 

 

En France, l’événement retransmis par France 2 a rassemblé 22 millions de téléspectateurs, soit la deuxième meilleure audience de l’histoire en France derrière la finale France-Argentine lors de la Coupe du Monde de football, en décembre 2022. « Quitte à sortir du stade, autant sortir du cadre ! » a déclaré le jeune metteur en scène. Et d’ajouter “J’ai choisi de bouleverser l’ordre établi, d’entremêler les temps de spectacle, de défilé des athlètes et de protocole pour créer une structure inédite.”

 

A la pluie battante, s’est ajouté des moments de grâce et d’intense émotion comme Céline Dion  entonnant l’hymne à l’amour du haut de la Tour Eiffel, après quatre ans d’absence pour condition de santé, ou encore un florilège d’athlètes olympiques relayant la flamme olympique dont cet échange poignant entre l’ex star du football Zinedine Zidane et le tennisman Rafael Nadal, 14 fois champion en titre du tournoi de Roland-Garros

 

Malgré de nombreux trésors d’ingéniosité et un point d’honneur à représenter la culture française dans toute sa diversité, l’événement n’a pas manqué de susciter quelques polémiques sur la toile, en particulier auprès de certaines délégations internationales

 

Un défi présenté comme impossible

 

S’adressant aux forces de l’ordre mobilisés à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024, le président de la République française Emmanuel Macron a rappelé le rôle déterminant de la sécurité intérieure dans le succès de l’évènement :  » Ce que vous avez fait hier, tout le monde il y a sept ans nous disait que c’était impossible à faire […] tous les experts qui nous disaient c’est une folie criminelle, ça ne se fera jamais, nous n’y arriverons pas, c’est impossible. 

 

Thomas Jolly a réussi avec maestria à assurer un show tout en démesure en “douze tableaux sur tous les emblèmes de la ville de Paris et les sens qu’ils produisent” pendant près de 3h15. 

 

Un exploit digne d’un sportif de haut niveau tant il a mobilisé de personnes (18 000 pour la seule cérémonie) et d’énergie. Le tout avec une seule mission et non des moindres : faire en sorte que la fête soit belle, populaire et surtout fasse oublier le gigantesque JO bashing qui a fait rage dans le pays en amont de la compétition. 

 

Ouverture de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024 depuis le pont d’Austerlitz © France TV

 

C’est donc une parade fluviale hors d’un stade – du jamais vu dans l’histoire olympique – impliquant 85 bateaux-mouche (6800 athlètes représentant 205 délégations) sur 6,3 km de quais parisiens, entre le pont d’Austerlitz (XIIIe arrondissement) et le pont d’Iéna (XVIe arrondissement), terminant sa course devant le Trocadéro et la Tour Eiffel qu’a orchestré Thomas Jolly.

 

Connu pour son sens du spectacle, des lumières lasers et de sa capacité à mêler diverses références, le metteur en scène normand venu du théâtre et de l’opéra chargé de raconter une histoire engageante avec quelque 3000 danseurs, acrobates, musiciens, performeurs et chanteurs est parvenu à faire venir un public en masse de 326 000 spectateurs, qui sont pour la plupart resté malgré la pluie. 

 

Dans sa lourde tâche, il a pu compter sur l’aide de l’animatrice Daphné Bürki, nommée en juin directrice du stylisme et des costumes ainsi que sur Victor Le Masne, directeur musical de la cérémonie. 

 

Une ode à la culture française

 

Passant avec grande facilité entre haute et pop culture, à l’image d’une Aya Nakamura interprétant un medley de ses plus grands hits (Pookie, djadja) avec certaines mélodies de Charles Aznavour aux côtés de 60 musiciens de la Garde républicaine et 36 choristes de l’armée de terre, le show d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 a témoigné de tout le savoir-faire français. 

 

Aya Nakamura interprétant sur le Pont des Arts un medley de ses plus grands titres aux côtés de l’orchestre de la Garde Nationale sur des mélodies d’Aznavour, un melting pot culturel plébiscité par Thomas Jolly dans son travail comme chez son acolyte Victor Le Masne, directeur musical de la cérémonie © France TV

 

Il a ainsi été question de son artisanat traditionnel (ateliers Louis Vuitton), de sa scène musicale francophone (variété française, french touch, rap), de ses films d’animation (Studio Illumination auprès de l’Ecole des Gobelins, créateurs des Minions) ou encore de son esprit canaille, cabaret voire kitsch avec Lady Gaga rendant hommage à la fameuse chanson de la danseuse Zizi Jeanmaire “Mon truc en plume”. Cette interprétation sur un escalier monumental doré rappelant les marches du Grand Palais a fait intervenir des danseurs utilisant des pompons roses du célèbre Lido, aujourd’hui définitivement fermé. Les danseuses du Moulin Rouge ont quant à elle dansé un French Cancan

 

Lady Gaga a interprété le titre phare de l’artiste de Music Hall « Mon truc en plume »© France TV

 

Autre part du répertoire français, certains héritages de la période révolutionnaire étaient également présents : au côté de l’incontournable hymne de la Marseillaise interprété par la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel, le chant révolutionnaire “ça ira” a été revisité par le groupe de métal Gojira

 

La littérature et le jeu vidéo (Ubisoft) était également à l’honneur à travers la figure du mystérieux porteur de flamme, dont la silhouette oscillait entre deux anti-héro : celui de la franchise historique Assassin’s Creed (dont deux volets se sont déroulés à Paris, dont Unity écoulé à 155 millions d’exemplaires) et celui de l’oeuvre phare de Gaston Leroux, le Fantôme de l’Opéra. Naviguant sans encombre d’un point à un autre de la Ville Lumière, le rôle masqué a été dévolu à Simon Nogueira, champion de France de freerunning et star des réseaux. Ce dernier compte 4,1 millions de followers sur TikTok et près de 390 000 sur Instagram.

 

Spécialiste du parkour, Simon Nogueira s’est glissé dans le rôle du mystérieux porteur de flamme, personnage à mi-chemin entre la franchise vidéoludique Assassin’s Creed et le Fantôme de l’Opéra © France TV

 

La danse classique et contemporaine était en bonne place avec 1800 danseurs des quatre coins de France, dont les compagnies Gratte Ciel et MazelFreten. Véritable point d’orgue, le danseur étoile Guillaume Diopp a interprété une performance sur le toit de l’Opéra de Paris. 

 

Les monuments de Paris n’étaient pas en reste avec le Louvre, la Monnaie de Paris (créatrice avec Chaumet des médailles olympiques), la Conciergerie et le Palais de Justice, le théâtre du Châtelet, le Pont des Arts ou encore le Musée d’Orsay

 

Les œuvres d’art historiques et contemporaines étaient particulièrement présentes, qu’il s’agisse des statues des douze « femmes en Or » (de Olympe de Gouges à Gisèle Halimi, en passant par Simone Veil) à cinq silhouettes féminines XXL issues des collections du Louvre comme le Tricheur à l’as de trèfle de Georges de la Tour, Madeleine, femme noire par Marie-Guillemine Benoist (1800) ou encore Gabrielle d’Estrées, peinte par un anonyme vers 1594–1595. 

 

Une entreprise nantaise, Atelier Blam est à l’origine du cheval mécanique © Comité Olympique et Paralympique de Paris 2024

 

L’Atelier Blam, à Nantes, s’est occupé de concevoir le cheval mécanique couleur argentée.  

 

Le Paris interlope a également eu droit à son quart d’heure de gloire avec un défilé de mode queer électrisé par des danseurs et figures LGBTQIA+. Paris dispose d’un véritable savoir-faire envié dans le monde entier en matière de haute couture. Hormis les tenues de lumière de nombreuses célébrités comme Céline Dion, Lady Gaga et Aya Nakamura vêtues de Dior et Louis Vuitton arboré par le rappeur Rim K, c’est la jeune garde de la création de mode française comme Charles de Vilmorin, Jeanne Friot (qui a conçu le costume de la cavalière masquée en collaboration avec le maitre du cuir Robert Mercier). 

 

La vasque finale en forme de montgolfière allumée par deux ambassadeurs clés de la Guadeloupe, le judoka Teddy Riner et la triple championne olympique Marie-José Perec dans le jardin des Tuileries a servi un hommage appuyé au premier vol d’un ballon à hydrogène par les Frères Montgolfier en 1783. 

 

Une pluie de polémiques

 

Parmi la douzaine de tableaux chantés et dansés proposés par Thomas Jolly, figurait celui intitulé “festivités”. Pensé selon les propos rapportés par Daphné Bürki comme “le plus grand clubbing-guinguette de France” selon les vœux du metteur en scène, cette partie du spectacle a été confiée à la djette Barbara ButchCelle-ci s’est retrouvée au centre d’un banquet géant dont la table servait de podium pour les nombreux danseurs présents dont le danseur Germain Louvet ou encore la drag-queen Piche. 

 

La mise en scène, débutant avec des danseurs statiques aux poses différenciées disposés de part et d’autre de la table et de sa maîtresse de cérémonie-ambianceuse du moment auréolé a concentré une bonne part des messages de colère sur les réseaux sociaux

 

L’épiscopat catholique a condamné ce qui lui est apparu comme à d’autres catholiques comme une moquerie blasphématoire à l’égard des croyants. En effet, la théâtralisation de cette séquence sur la passerelle Debilly, a fait penser à une parodie de la Cène, dernier repas de Jésus et œuvre phare de Léonard de Vinci. 

 

Sous le feu des critiques, Thomas Joly s’est défendu d’une quelconque volonté de ricaner du sacré : « Vous ne trouverez jamais chez moi une quelconque volonté de moquerie, de dénigrer quoi que ce soit. J’ai voulu faire une cérémonie qui répare, qui réconcilie” a-t-il déclaré. 

 

Inspiration directe pour la mise en scène du tableau « Festivité », Le Festin des Dieux est un tableau du peintre néerlandais du XVIIe siècle, Jan van Biljert © Musée Magnin de Dijon

 

A ceux qui pensaient avoir décelé une similitude évidente avec l’œuvre du génial inventeur italien de la Renaissance, Thomas Jolly a préféré divulguer sa source d’inspiration, le tableau du Festin des Dieux du peintre néerlandais du XVIIe siècle, Jan van Biljert, exposé au Musée Magnin de Dijon. “L’idée était plutôt de faire une grande fête païenne reliée aux dieux de l’Olympe… Olympe… l’olympisme.” Et d’ajouter “Je crois que c’était assez clair, il y a Dionysos qui arrive sur cette table. Il est là, pourquoi ? Parce qu’il est dieu de la fête (…), du vin, et père de Sequana, déesse reliée au fleuve.”

 

L’interprétation du fantasque chanteur Philippe Katerine en Dionysos, dieu grec de la fête, du vin et des excès a suscité de nombreuses incompréhensions en particulier aux Etats-Unis © France TV

 

En parlant de Dionysos, l’interprétation à demi nu du chanteur fantasque Philippe Katerine, grimé de peinture bleue a été perçu comme particulièrement subversive. La chaîne américaine NBC a préféré envoyer un spot de pub comme l’a rapporté le journal l’Equipe. La chaîne publique marocaine SNRT a préféré éluder la séquence en diffusant des images de la ville de Paris. L’embarras a également été observé en Australie et en Chine.

 

La scène de la conciergerie montrant des Marie-Antoinette décapitées n’a pas été du goût de tous, en particulier du côté de l’extrême gauche et sans surprise par les royalistes. Le Duc d’Anjou, le prince Charles-Philippe d’Orléans “pleure de honte” relevant là “l’un des moments les plus honteux de cette cérémonie”. Selon lui la représentation était d’autant plus honteuse et inappropriée, qu’elle s’est déroulé en présence de nombreux monarques européens invités dont ceux d’Espagne, de Belgique, du Danemark, des Pays-Bas, du Grand-duc Henri de Luxembourg ainsi que du Prince Albert de Monaco. 

 

Mais la palme de l’erreur, quasi diplomatique, revient au CIO qui a présenté les athlètes sud-coréens sous la mention  « République populaire démocratique de Corée » en français, puis « Democratic People’s Republic of Korea » en anglais, soit le nom officiel de la Corée du Nord, son ennemi juré. Le CIO a d’ailleurs été contraint de s’en excuser. 

 

Malgré ces quelques couacs, la cérémonie d’ouverture a été favorablement reçue par les français. Ils sont ainsi 86% à la considérer comme réussie, 75% à se sentir fiers à son issue et 81 % à la trouver historique, selon un sondage mené le lendemain par Harris Interactive/Toluna, pour le Comité d’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024 (COJOP).

 

Lire aussi > Paris 1924 ou l’officialisation des Jeux Olympiques d’été

 

Photo à la Une : © Comité Olympique et Paralympique de Paris 2024

Victor Gosselin is a journalist specializing in luxury, HR, tech, retail, and editorial consulting. A graduate of EIML Paris, he has been working in the luxury industry for 9 years. Fond of fashion, Asia, history, and long format, this ex-Welcome To The Jungle and Time To Disrupt likes to analyze the news from a sociological and cultural angle.

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