Pour nombre de personnes, le Disco rime avec Saturday Night Fever, col pelle à tarte, platform shoes, boules à facettes et paillettes. Indissociable de la fête, mémoire vivante des années 1970, moqué et même vilipendé à la mi-temps des années 1980, ce genre musical longtemps considéré comme mineur s’est érigé en manifeste d’émancipation pour les minorités et en un formidable exutoire en période troublée.
Né dans l’underground new yorkais et aujourd’hui bande son de tous les endroits les plus chics de la planète, le Disco n’a pas dit son dernier mot et la Philharmonie de Paris lui accorde avec Disco I’m Coming Out, une exposition jusqu’au 17 août prochain.
Cette variation plus hédoniste de la musique noire est apparue en 1972, dans une Amérique en perte de repères. Officiellement abolie, la ségrégation (races, couleurs et orientations sexuelles) est alors toujours en vigueur dans un pays, traumatisé par la guerre du Vietnam et un président des Etats-Unis, Richard Nixon, démissionnaire sur fond de scandale du Watergate. Le Disco apparait ainsi comme un fanal dans la nuit.
Cette musique n’aurait pu être qu’un feu follet, reléguée à une simple relique du passé mais c’est tout le contraire qui se produit.
Bien avant l’Eurodance des années 1990 chéri par la Gen Z et consécutif de la chute de l’URSS et du Mur de Berlin, voici l’histoire internationale d’un genre qui a, depuis, regagné ses lettres de noblesse, servant de base à l’émergence de groupes électro ambassadeurs de la French Touch comme Daft Punk et Justice.
Né au cœur du New York… des années 1970
A l’instar du punk avant lui et du hip-hop après, le Disco a fait ses premiers pas en période de crise.
Il est né au début des années 1970 dans un New York délabré, rongé par la criminalité, les violences urbaines, la ghettoïsation des afro-américains et le narcotrafic.
Le film Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese reproduit bien la misère et la crasse de la Big Apple d’alors, avec ses immeubles dégradés et ses trottoirs insalubre, composée d’une foule interlope attirée par les prostituées et les stupéfiants.
Dans son essai référence sur l’analyse culturelle du mouvement disco, Turn The Beat Around: The Secret History of Disco (2008), Peter Shapiro n’y va pas de main morte pour décrire la situation de l’époque dès son introduction : “la disco pouvait bien briller de l’éclat du diamant, elle puait la merde. Quel que fût le vernis élégant et sophistiqué sous lequel elle se dissimulait, elle n’en était pas moins née, tel un ver, du trognon pourri de la Grosse Pomme.”
Devant la montée de l’insécurité, les blancs fuient vers les banlieues tandis que les plus pauvres s’entassent dans le centre-ville de New York.
En 1975, la ville, frôlant la faillite, décide d’attirer les investisseurs et le monde de la finance en proposant des cadeaux fiscaux via des abattements d’impôts. L’un des plus célèbres promoteurs, Donald Trump, obtient ainsi 40 ans d’abattements fiscaux pour ériger hôtels et appartements de luxe.
A l’échelle du pays, la ségrégation a beau avoir été officiellement abandonnée, elle continue alors de frapper les afro-américains. Les latinos et les immigrés italiens sont également discriminés.
Quant aux homosexuels, ils sont encore poursuivis par la police habituée à des descentes musclées lors desquelles des membres de la communauté LGBTQI+, dont les drag queens, sont alors passés à tabac par les forces de l’ordre. Au début des années 1970, l’homosexualité est alors illégale dans 49 Etats américains. Danser avec une personne de même sexe l’est tout autant. Dans la nuit du 28 juin 1968, une de ces interventions de police dans un des rares clubs gay de la ville, The Stonewall Inn, vire à l’émeute. Cet épisode marque le début de la lutte pour les droits de la communauté homosexuelle. Ce soir là, deux slogans sont scandés par la foule “Gay Power” et “We Shall Overcome”. Ce dernier est directement tiré du mouvement des droits civiques, en faveur des afro-américains.
C’est dans ce contexte que les communautés marginalisées vont poser les bases d’un son ouvertement sexuel et hédoniste.
Se réunissant dans des lieux clandestins, principalement à Brooklyn, Harlem et dans le Bronx, ils peuvent librement s’adonner à une danse lascive et fixer leurs propres règles.
Un métissage sonore
L’histoire du son du disco est une anomalie dans l’histoire musicale.
D’ordinaire, un genre musical provenait d’un groupe de musiciens issus de la même zone géographique. Or, le disco provient de différentes sources musicales, elles-mêmes sélectionnées, promues et modifiées par des artistes émergents : les deejays “diggers” (en quête de raretés et de pépites musicales oubliées).
Au départ, ces deejays ou “disquaires” se présente comme des alternatives moins onéreuse aux orchestres live, se contentant de diffuser de la musique enregistrée dans quelques dancings exigus, voire des piscines et saunas reconvertis. Ils ne tardent pas à donner un nom à ses établissements nocturnes aux lumières criardes et aux percussions marquées : les discothèques.
C’est d’ailleurs dans l’une d’entre elles, le Loft (Soho), qu’un certain dj David Mancuso a l’idée de prolonger le souvenir des bacchanales hippies et de l’amour fraternel devant un public majoritairement noir, latino et italien.
Au début des années 1970, ces djs passent alors des tubes de la décennie précédente : des morceaux de rock psychédéliques héritée des années hippies, du jazz et surtout de titres oubliés funk, soul et de rythm & blues. Certains commencent à s’émanciper du rôle de simple “pousseur de disques” et à en accélérer le tempo. Les premiers remixeurs font ainsi davantage ressortir la batterie et la basse.
Isaac Hayes avec son Theme From Shaft (1971) à la guitare wah wah emblématique figure comme l’un des premiers sons proto disco.
David Mancuso est l’un des premiers à diffuser en club le morceau le plus long de l’album People… Hold On d’Eddie Kendrick, ex-chanteur du groupe des Temptations et officiellement premier morceau disco de l’histoire. D’une durée de 7 min 30, l’hymne féministe “Girl You Need a Change of Mind” (1972), a l’avantage de garder le public plus longtemps sur la piste ainsi que d’alterner les variation de tempo, débutant à 96 BPM avant de finir à 110 BPM.
La même année, David Mancuso – encore lui – déniche le 45 tour Soul Makossa du saxophoniste camerounais Manu Dibango dans un magasin de disques antillais à Brooklyn. Un programmateur radio tombe sur le morceau à l’une des soirées du dj, le propulsant dans les charts américains.
Musique créé en studio, disco se présente au carrefour des genres musicaux mais fortement teinté des cultures afro et latinos avec des motifs de jazz fusion, de blues et de salsa pour la mélodie et de gospel pour le vocal.
Le disco bénéficie d’une orchestration électronique comprenant des cordes et des cuivres avant que les synthétiseurs ne fassent leur entrée la décennie suivante. Conçu comme une musique de danse, le genre privilégie le rythme et l’orchestration sur le texte et la mélodie.
Le disco finit par achever sa mue en adaptant pour le marché blanc, le Philly Soul, ou son de Philadelphie, autre métropole située dans la Rust Belt, frappé par la désindustrialisation et la montée du chômage. Radios et boîtes de nuit à New York et Miami vont ensuite servir de caisse de résonance au mouvement.
Ce Philly Soul se caractérise par des suppliques pathétiques et flamboyantes et surtout une orchestration luxuriante.
C’est d’ailleurs le groupe Harold Melvin & The Blue Notes avec son titre The Love I Lost (1973), chantant des amours perdus façon Eugène Onéguine des temps modernes, qui pose les bases de la rythmique disco. Le batteur du groupe, Earl Young, qui avait déjà travaillé sur le One Night Affair de Jerry Butler et le Love Train de The O’Jays, a l’idée d’appuyer chaque temps avec la grosse caisse et non avec la caisse claire comme le faisait le label Motown. Interrogé, l’intéressé avait complété “j’ai ajouté le charleston sur les contretemps et un motif funky à la caisse claire.” A la BBC, le batteur qui a ensuite rejoint le groupe disco The Trammps précise “C’est une sensation de marche. Alors quand les gens entendent ça, ils veulent automatiquement bouger.”
Avec ce beat, il crée ainsi le tempo “Four To The Floor” ou mesure à quatre temps.
Le disco devient mainstream
En 1973, Barry White et son Love Unlimited Orchestra sort Love’s Theme. Un morceau langoureux célébrant l’amour illimité entre un homme et une femme qui était destiné… à la benne du label 20th Century. Sauvé in extremis par le dj Nicky Siano, officiant au The Gallery, le disque rencontre un tel succès sur la piste de danse que le label est contraint de le sortir en single. Dès lors, les producteurs se rendent compte qu’en osant publier des morceaux long format, ils pourraient plus facilement être joués en club… et percer dans les charts.
Mais bientôt, un événement va propulser le disco au-delà de sa communauté originelle auprès des populations blanches.
Les pays membres de l’OPEP, réunis au Koweït, déclarent un embargo sur les livraisons de pétrole destinées aux pays soutenant Israël : c’est le premier choc pétrolier. Entre octobre 1973 et janvier 1974, le prix du baril de brut est multiplié par quatre, passant de 2,3 $ à 11,6 $ (l’équivalent de 50 $ constants de 2008). Dès lors, une bonne partie de la jeunesse américaine se heurte au chômage de masse et à l’incertitude.
Le disco et les discothèques, moins coûteuses que des places pour concerts de rock, deviennent l’échappatoire idéale d’une jeunesse désenchantée. Les boîtes de nuit commencent à pousser partout aux Etats-Unis et en Europe. Bien loin du vestiaire stéréotypé de Saturday Night Fever, on se fait beau et on se met sur son 31 pour aller danser le samedi soir, à un moment où les contraintes économiques et sociales accentuent l’individualisme.
Avec son message émancipateur originel et en dehors de paroles exhortant surtout à se lâcher et à danser jusqu’au bout de la nuit, le disco parvient à transmettre quelques messages féministes à travers la figure des divas. Donna Summer est ainsi portée au nu en 1974 avec son plus que suggestif Love To Love You Baby, ode de 16 minutes 50 à un amour anti-macho.
Deux ans plus tard, un son disco plus industriel commence à saturer les ondes avec des hits conçus pour les soirées privées des particuliers. Le morceau satirique Disco Duck de Rick Dees and his casts of idiots se moque du genre musical et perce dans les charts américains. On pense alors à la fin du mouvement mais une ouverture d’une discothèque change à jamais le cours de l’histoire.
Le 26 avril 1976, à 22 heures, le titre Devil’s Gun de CJ & Co résonne sur la piste flambant neuve du 273 West 54th Street. Ian Schrager et Steve Rubell sont parvenus à transformer l’ancien studio de télévision de CBS en temple de la fête : le Studio 54 est né.
Filtrage à l’entrée réservée aux beautiful people, pépites sonores, drag queens flamboyantes, décoration intérieure soignée et éclairage dynamique dernier cri, l’établissement dénote et devient le repère des célébrités comme de la jeunesse dorée. Andy Warhol, Michael Jackson, Debbie Harris, Margaret Trudeau et Salvador Dali s’y pressent. Le créateur Halston, coutumier des soirées du club, puise son inspiration dans les vibrations et le clinquant des lieux pour proposer une mode festive. Ce dernier organise in situ une fête d’anniversaire mythique pour Bianca Jagger, immortalisée juchée sur un cheval blanc, arrivant sur Sympathy for the Devil des Rolling Stones. L’esprit décadent du Studio 54 s’imprime sur les Une de journaux.
La file d’attente inspire les artistes de l’époque, Cerrone a l’idée d’inclure des voix off extraites de films pornographiques, qu’il transpose en discussion d’avant soirée pour son Love in C Minor (1976). Refoulé du club mythique, un certain Nile Rodgers, bassiste du groupe Chic, a l’idée de se moquer de ces beautiful people au look improbable avec son morceau devenu un véritable hit : le Freak (1978).
En 1977, le mouvement disco est immortalisé et devient international avec le film musical Saturday Night Fever et la danse endiablée de John Travolta. Avec son personnage de Tony Manero, émigré italien, magasinier le jour et inconditionnel noctambule du Club 2001 Odyssey la nuit, il campe ces américains moyens en quête de réalisation de soi. Un groupe pop australo-britannique aux harmonies vocales aigues et cherchant un sursaut, les Bee Gees deviennent le premier groupe blanc à chanter du disco. Entre Staying Alive, More Than a Woman et Nightfever, la bande son du film est truffée de hits du groupe. Extrêmement populaire, se vend à 25 millions d’exemplaires entre 1977 et 1980, devenant le plus gros succès de l’histoire musicale avant d’être détrôné par Thriller de Michael Jackson en 1982.
A cette époque, Giorgio Moroder revient dans les charts avec I Feel Love de Donna Summer, Gloria Gaynor chante son hymne de résilience I Will Survive, tandis que YMCA des Village People, pas encore récupéré par Donald Trump célèbre la culture Queer. Ce dernier groupe est d’ailleurs l’œuvre de deux français Henri Belolo et Jacques Morali.
A mesure que le disco gagne l’international, l’excellence des Abba, Boney M, Mickael Jackson, Quincy Jones et autres Imagination côtoient le médiocre. Et de plus en plus d’artistes de grande envergure, en perte de vitesse ou par pur opportunisme se saisissent du mouvement.
En France, Claude François est frappé en plein vol alors qu’il vient de prendre le virage disco avec son ultime album Magnolia Forever (1977) composé de son hit éponyme et Alexandrie Alexandra. Dalida chante Laissez-moi danser (1979) tandis que l’artiste yeye Sheila s’offre une seconde carrière avec le groupe B Devotion et son tube Spacer (1980).
Côtés anglo-saxons, Blondie, Rod Stewart, surtout les Rolling Stones avec Miss You (1978) pensent avoir flairé le bon filon. Mais l’indigestion de disco et de hits ultra formatés et commerciaux provoquent la colère des fans de rock. Sur des relents de racisme et d’homophobie, une foule de jeunes blancs se réunissent le 12 juillet 1979 au stade de Comiskey Park pour une Disco Demolition Night. Il s’agit du premier autodafé de disques disco, organisé à la mi-temps d’un match de baseball. La même année, Studio 54 ferme une première fois ses portes en raison de l’inculpation pour fraude fiscale de ses propriétaires Steve Rubell et Ian Schrager. La discothèque ne s’en relèvera jamais jusqu’à sa fermeture définitive en 1986.
Disco’s Alive
Telle la créature de Victor Frankenstein, mort-vivant revenu d’entre les morts, le disco est toujours bien vivant.
Si Steve Rubell, le légendaire propriétaire et physionomiste du Studio 54, décède du sida en 1989, son acolyte, Ian Schrager, revient aux affaires et se reconvertit dans l’hospitality, créant le concept des boutiques hôtels avec The Edition Hotels en 2015.
Dans la pop culture, le disco fait quelques apparitions remarquées. Ainsi, en 1998, le film Les Derniers Jours du Disco de Whit Stillman met en scène un couple de jeunes diplômés désabusés (dont Chloé Sevigny et Kate Beckinsale) s’échappant d’un quotidien professionnel compliqué en allant danser en discothèque au début des années 1980. Plus récent, les films American Bluff (2013) et The Nice Guys(2016) comportent de nombreuses scènes célébrant la culture disco. Coté série, The Get Down (2016), produit par Netflix, revient au source des premières heures du hip-hop et du deejaying avec notamment une héroine chanteuse de gospel se rêvant nouvelle diva du disco, façon Vicki Sue Robinson avec son Turn The Beat Around.
Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le mouvement French Touch où au seuil des années 2000, une nouvelle génération de djs se sont réappropriés les grands classiques et les pépites oubliées du disco tels que Cassius, Modjo, Benjamin Diamond, Superfunk, Dimitri From Paris et Bob Sinclar. Parmi eux, des groupes comme Daft Punk avec leur album Discovery (2001) redonnent au disco ses lettres de noblesse avec des titres comme One More Time et Veridis Quo. Ce mouvement a d’ailleurs été mis en vedette lors des Jeux Olympiques de Paris 2024 avec notamment Cerrone interprétant son hit Supernature lors de la cérémonie de clôture.
Outre-manche, le disco s’offre également un sursis au même moment avec une Sophie Ellis Bextor interprétant Murder on the dancefloor – qui trouvera une nouvelle jeunesse auprès de la Gen Z en 2023 avec le film Saltburn produit par Amazon Prime – et un Jamiroquai proposant un son groovy aux relents disco.
Mais le sursaut du disco intervient en 2013 lorsque Daft Punk invite le bassiste du groupe Chic et le polymathe musical Pharrell Williams pour enregistrer Get Lucky pour l’album Access Random Memories.
Lors du COVID, plusieurs artistes réalisent des sessions live filmées, ainsi Dimitri From Paris mixe dans la boite de nuit parisienne déserte Sacré, Roisin Murphy dévoilent de nouvelles pépites disco tandis que Sophie Ellis Bextor publie une réinterprétation de Crying At The Discotheque du groupe Alcazar, lui-même samplant le titre Spacer de Sheila et B Devotion. Dans le clip, elle chante dans plusieurs salles de spectacle londoniennes vides du Club Heaven à l’O2 Arena en passant par l’Apollo Theatre et le Bush Hall.
Pour Cerrone, interrogé dans le cadre de l’exposition Disco I’m Coming Out, “La Disco n’a jamais disparu. Elle a eu des moments plus ou moins en avant mais elle a toujours été joué dans les discothèques avec des titres électro, house, garage et EDM”.
Ces dernières années, des stars de la pop américaine à l’aura internationale comme Dua Lipa, Doja Cat et Lizzo ou européennes comme Roisin Murphy, Juliette Armanet, The Blessed Madonna, Dj Koze, L’Impératrice, Purple Disco Machine ont convoqué le souvenir nostalgique et flamboyant du disco prouvant que le slogan “Disco is not dead” a encore une raison d’être.
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