La petite histoire du… Nouvel An Chinois

Tonalités rouge et or auspicieuses, parades costumées, repas familiaux, pétards et feux d’artifices, le Nouvel An Chinois est depuis des millénaires, l’un des moments traditionnels les plus festifs de l’année en Chine et dans toutes les régions de la diaspora. Répondant au calendrier luni-solaire, ses dates, contrairement au calendrier grégorien débutant chaque 31 décembre, varient. Cette année, les festivités ont débuté le 29 janvier et se prolongeront jusqu’au 12 février.

 

L’Empire du milieu n’est pas pour rien l’inventeur de la poudre à canon et de sa version récréative, les feux d’artifices, dès le VIIe siècle (dynastie Tang).

 

Pour cette nouvelle année lunaire, près de 3 milliards de personnes vont de nouveau traverser la Chine pour retourner dans leur ville natale et rendre visite à leur famille, au point que beaucoup de commentateurs qualifient la période de « plus grande migration humaine annuelle du monde », dans un pays aux 1,4 milliard d’habitants (18,4% de la population mondiale). Et cette année, celui qui reste le plus grand producteur et consommateur d’automobiles, s’attend à une inflation du nombre de voyages en voiture sur la période (7,2 milliards).

 

Véritables instants privilégiés pour des millions de personnes et notamment d’ouvriers pour retrouver leur famille, ces célébrations sont particulièrement importantes en Chine et dans toute l’Asie du Sud-Est, de la Thaïlande à Singapour en passant par la Corée et la Malaisie.

 

Ce Nouvel An Chinois ou « Fête du Tet » au Vietnam, placé sous le signe du serpent de bois, coïncide avec le début de la deuxième nouvelle lune suivant le solstice d’hiver.

 

Également appelée “Fête du Printemps” (Chūnjié), ces festivités aux origines agricoles, comportent cette année 8 jours fériés officiels (du mardi 28 janvier au mardi 04 février 2025). Toutefois, les célébrations peuvent tout à fait se prolonger jusqu’au quinzième jour du premier mois lunaire, marquant la fête des lanternes, soit le 12 février 2025.

 

Au-delà du nouvel an et afin de relancer l’économie du pays affaiblie par le chômage de masse des jeunes et une crise immobilière sans précédent, le gouvernement chinois a décidé d’accorder depuis ce mois-ci, deux jours de congés annuels supplémentaires, portant ces derniers à 13, les congés du Nouvel An débutant cette année un jour plus tôt, du jamais vu !

 

Quant à l’histoire du Nouvel An Chinois, il s’ancre dans la tradition des fêtes agricoles avec de nombreux mythes et légendes où il est question de lutte entre le bien et le mal. 

 

Un monstre légendaire mais craintif

 

Au commencement du Nouvel An Chinois, il y a Nian.

 

Si le mot signifie aujourd’hui “année”, il a longtemps été le nom d’un monstre légendaire.

 

Portant une tête de lion et un corps de taureau – certaines légendes évoquant même un animal fabuleux cornu – la bête avait pour habitude de descendre une fois par hiver de sa montagne pour dévorer les enfants et bétails alentour. 

 

Alors qu’il n’apparaissait qu’à la nuit tombée et repartait aux premières lueurs du jour, les villageois commencèrent à comprendre ses habitudes et à mieux se préparer à sa venue. Pour se donner du courage pour la fameuse nuit de veille, ils n’hésitaient pas à organiser de grandes tablées à la lueur de lanternes, barricadés chez eux.

 

Ils ne tardèrent pas à percer la faille du monstre : une peur bleue du feu, du bruit et du rouge. 

 

A son retour, les villageois tapèrent sur leur casserole en cuivre, allumèrent leurs lumières, arborèrent une teinte écarlate sur leurs portes et accrochèrent des guirlandes de papier de la même teinte dans les rues. Ni une, ni deux le monstre détalait.

 

Un jour, le dieu stellaire Ziwei descendit de sa montagne pour enchaîner Nian. Mais les habitants conservèrent cette tradition dont le fameux shousuì ou repas de réveillon durant lequel il s’agit de se coucher le plus tard possible afin de vivre plus longtemps, soit « monter la garde de l’année ». 

 

On comprends que l’ensemble des stratagèmes pour se prémunir des attaques du monstre aient été conservés pour revêtir une fonction apotropaïque (conjurer le mauvais œil, ndlr). 

 

Ainsi, depuis ce jour, l’arrivée de Nian rime avec détonation de pétards et feux d’artifices, couleur rouge dans la maison comme sur soi et grandes tablées. La figure du monstre se retrouve sous la forme de parades costumées entrecoupées de la danse du dragon ou du lion. C’est aussi un moment clé dans toute inauguration de boutique en Asie. A chaque fois, il s’agit d’éloigner les mauvais esprits et de provoquer la chance.

 

Argent et démon

 

Autre tradition du nouvel an, l’échange d’enveloppes rouges, ou hóngbāo. Malgré le fait que celles-ci renferment généralement de l’argent, le contenant importe au moins autant. Le rouge vif étant annonciateur de chance et de prospérité.

 

Selon la légende, le démon Sui avait pour habitude, à l’instar du Nian, de visiter les enfants la veille du Nouvel An et de leur tapoter le crâne, provoquant chez eux une forte fièvre. Les parents, désireux de protéger leurs bambins, faisaient alors tout ce qu’il était possible pour les tenir éveillés. Un soir, un enfant avait reçu huit pièces de monnaie pour jouer toute la nuit. Mais rien n’y fit, il s’endormit avec les pièces à ses côtés sur son oreiller. En revanche, lorsque le démon apparut au pied de son lit pour le toucher, la lumière jaillissant des pièces l’éblouit et lui fit si peur que jamais il ne reparut. 

 

Une autre légende mentionne la présence des Huits Immortels dans l’enveloppe, chacun correspondant à une pièce. A l’origine simple mortels, ces derniers figurant sous la forme de personnes ou de talismans, sont devenus des symboles de lutte du bien contre le mal. Ainsi, par exemple, Zhong-li Quan était ainsi associé à un éventail magique capable de ranimer les morts, tandis que Li Tie-guai est représenté avec une canne et une calebasse contenant de l’alcool, représentant la santé et surtout la capacité à surmonter les aléas de la vie.

 

On retrouve ici l’importance du chiffre 8, porteur de chance. A ce jeu, en revanche, tout billet contenant le chiffre 4 est à proscrire, la prononciation du chiffre sonnant comme celui du mot “mort”.

 

L’échange de ces enveloppes spécifiques, tenue des deux mains, se fait entre amis, famille (y compris étendue) et collègues. La coutume voulant que chaque nouvelle année lunaire soit sous le signe du renouveau, les billets de banque neufs ou fraîchement retirés des distributeurs prévalent. Toutefois, avec le développement du numérique, les hóngbāo peuvent être dématérialisées. Wechat est ainsi devenu l’un des canaux privilégiés pour la distribution d’enveloppes rouges.

 

Carpe et Prospérité

En dehors de la danse du lion, un autre animal vient compléter le bestiaire porte-bonheur en Chine, au point de figurer comme un élément de décoration à table comme dans les rues : la carpe.

 

Ce poisson se dit Li Yu en chinois. Or, Yu se prononce comme les mots “profusion” ou “abondance”.Il n’est ainsi pas rare d’apercevoir des motifs de carpes sur les enveloppes rouges destinées aux étudiants afin de leur apporter chance et prospérité.

 

De même, l’enfant tenant une carpe est une imagerie très répandue en Chine et qui peut servir également d’élément de décoration.

 

Les vases en forme de carpe symbolisent également la réussite à un examen. La légende voulait en effet qu’au moment du frai, si l’esturgeon du fleuve jaune – souvent confondu avec la carpe parvenait à remonter le fleuve, il devenait dragon. 

 

Dans le même ordre d’idée, le motif d’un couple de poissons rouges, ou “carpes dorées”, a fait son apparition sous les dynasties Shang et Zhou. Associé à l’or et au jade, il avait valeur de “richesse abondante”. 

 

Plus étonnant encore, le motif coq sur son rocher annonce également des avantages en affaires. Le mot poulet (ji) se prononce en effet comme le caractère chinois “prospérité”, tandis que “rocher” et “pièce” partagent la même prononciation (shi).

 

Partage et raviolis

 

Chiffre auspicieux par excellence, le 8 se retrouve également dans l’assiette, ainsi il est coutume surtout au cours des festivités du Nouvel An Chinois de servir 8 plats. Parmi eux, un poisson entier – le mot poisson étant proche de celui d’abondance – ou du canard.

 

Ainsi, le canard farci “aux huits trésors” est de tradition à Shanghai et Canton. Il renferme huit ingrédients sautés, notamment du riz collant, des champignons, des graines de lotus, du jambon fumé, des crevettes et du porc maigre. En condiment, il est coutume de manger des nouilles non coupées et de longs haricots représentant la longévité, là où mandarines et pamplemousses doivent apporter opulence et chance. Quant à l’ananas et au fruit du dragon, ils sont censés apporter de la chance au jeu.

 

Mais dans le nord de la Chine, le ravioli ou jiao zi ( 饺子) est roi. Le mot se rapproche de jiāo zi (交子) qui signifie “échange” et zi (子) qui signifie le passage 23 heures à 1 heure du matin. Il s’agit donc d’échanger l’ancienne année contre la nouvelle autour d’un bon plat de pâtes fourrées. La superstition autour des raviolis vient du fait que leur forme rappelle celle des yuanbao (元宝), ou lingots anciens. 

Lanternes et accalmie divine

 

Enfin quant à la Fête des Lanternes, laquelle clôture les quinze jours de festivité du Nouvel An Chinois et marque la première pleine lune, une légende du XVe siècle rapporte une colère divine. Descendue sur terre, la grue de l’Empereur de Jade fut malencontreusement tuée par des habitants de la capitale de l’époque. Fou de rage, celui-ci menaça d’incendier la ville le 15e jour du premier mois lunaire. Ayant eu vent de l’intention du Dieu, sa fille courra prévenir les habitants.

 

Afin de calmer les ardeurs du dieu, les citadins eurent l’idée d’allumer des lanternes. Croyant la ville déjà en proie aux flammes, il se retira. 

 

Une autre légende, rapporte un ordre impérial, datant quant à elle d’il y a 2000 ans, sous la dynastie Han. Défenseur du bouddhisme, l’empereur Ming de Han avait remarqué que les moines bouddhistes allumaient des lanternes dans les temps le quinzième jour du premier mois lunaire. Il imposa alors à l’ensemble des foyers, aux temples et au palais impérial d’allumer des lanternes ce soir-là.

 

Enfin, le Festival des lanternes a longtemps été associé à l’amour. Jadis, les femmes cantonnées au foyer étaient toutefois autorisées à sortir ce jour-là. Au point que certains appellent ce jour, la véritable Saint Valentin chinoise, ayant une plus grande légitimité que l’actuelle fête de Qixi.

 

Si la fête non officielle des amoureux n’a plus cours à cette période, une tradition a toutefois perduré. En dehors d’allumer lanternes et lampions rouges, il est coutume de manger des boules de farine de riz gluant, les Tangyuan. Sa forme renvoie aux notions de plénitude, de famille réunie et de satisfaction des besoins.

 

Enfin, contrairement aux autres jours du Nouvel An Chinois où la lanterne traditionnelle en papier (Huadeng), bien que concurrencée par des matériaux plus innovants, a toujours la cote, celles du Festival s’apparentent davantage à des sculptures lumineuses géantes, de formes diverses, comme celles d’animaux. 

 

Lire aussi > La petite histoire de… l’apéritif

 

Photo à la Une : © Unsplash

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