Depuis ces derniers jours, une nouvelle tendance sur les réseaux sociaux agite la toile. Intitulées “starter pack”, ces images personnalisées façon figurines de collection générées par l’IA essuient de vives critiques de la part de la sphère artistique et remettent la place de l’intelligence artistique dans l’art au cœur du débat.
Nouveau scandale sur fond d’avancée technologique. Ces derniers jours, de nombreux internautes ont posté sur les réseaux leur “starter pack”. L’image se veut de représenter la personne sous forme de figurine sous blister, accompagnée par ses « accessoires » fétiches selon son lifestyle. Appareil photo, animal de compagnie, livre, vêtement, boisson favorite, sport pratiqué, fleurs… Autant d’éléments censés représenter la vie de l’utilisateur à l’image des petites poupées vendues en boutique pour amuser les enfants.
Sur X, l’animateur Stéphane Bern a succombé à la tendance avec un “starter pack” faisant la promotion de son émission Secrets d’Histoire. Le préfet du Gard, Jérôme Bonet, a illustré son image avec un stylo et un drapeau tricolore. Sur le compte Tiktok de Canal+ Sport, on peut voir les “starter pack” des footballeurs Kylian MBappé, Ousmane Dembele ou encore Harry Kane, aux côtés de ballons, de médailles, de la coupe du ballon d’or, de montres, d’un chat ou de drapeaux. Sportifs, stars de la télévision, acteurs, politiques… Autant de personnalités publiques et comptes officiels qui n’ont ni dessiné ces images ni fait appel à des artistes, mais qui ont généré ces visuels à partir d’une simple requête sur une plateforme d’intelligence artificielle comme ChatGPT.
L’Intelligence artificielle : c’en est trop pour les artistes
Alors que la tendance inondait les réseaux sociaux, la sphère artistique s’est rapidement soulevée contre les “starter packs”. Sous le hashtag #starterpacknoAI, les artistes et illustrateurs dénoncent la place de plus en plus prédominante de l’intelligence artificielle dans la création. Les critiques oscillent entre l’uniformisation massive de l’art, le remplacement des véritables artistes par cet outil numérique et l’impact écologique.
Nouveau Secrets d’Histoire ce soir sur vos écrans, à 21.05 sur France 3. Nous, on a déjà notre « starter pack » @bernstephane et #Secretsdhistoire, et vous ?#starterpack pic.twitter.com/bCL1IhuJjU
— Secrets d’Histoire (@secretshistoire) April 9, 2025
Sur Instagram, l’illustrateur Patouret a ainsi créé son “starter pack” de ses mains, en indiquant avec le hashtag #starterpacknoAI : “j’en peux plus de voir cette trend en IA PARTOUT donc je vais y participer moi même à la sueur de mon front”. L’artiste a été vivement soutenu et suivi par la communauté de créatifs, à l’instar de Mikankey, qui s’est exclamé à côté de son image, “Bon il serait vraiment temps d’arrêter cette connerie ?”. « Starter pack dessiné avec des vraies mains humaines et l’utilisation d’un vrai cerveau. Le mien. Ça m’a pris presque deux heures. Mais c’est unique » mentionne quant à elle Mespresquesrien.
Blanche Sabbah (Lanuitremueparis) ou encore Julia Fäye ont elles aussi imaginé leur propre version du “starter pack”, affirmant les mêmes convictions. Sous le hashtag #starterpacknoAI, ce sont des centaines et des centaines d’images qui ont été pensées par des illustrateurs connus ou non. Une prise de position qui renverse la tendance et invite à sensibiliser le public sur leur travail et questionner la place de l’intelligence artificielle dans l’art.
Autre contestation : l’environnement. Le militant écologiste Gaetan Gabriele a, par exemple, publié un post où il souligne l’impact des IA sur la planète. Selon une récente étude de l’Agence internationale de l’énergie, la consommation engendrée par les IA génératives va doubler d’ici 2030 et va représenter 3% de l’électricité mondiale contre 1,5% aujourd’hui.
“-Une seule image générée, c’est jusqu’à 3,45 litres d’eau gaspillés. Autrement dit, plus de 17 verres d’eau
– Pour 1 000 images, les chercheurs estiment le coût équivalent en termes de CO2 à un trajet de 6,5 km en voiture thermique.
– Un milliard de messages s’échangent chaque jour sur ChatGPT, cela représente la consommation d’électricité d’environ 27 000 foyers français
– D’ici à 2027, l’IA générative pourrait utiliser autant d’électricité que l’Espagne
– Les émissions liées à l’IA pourraient augmenter de 60 % d’ici 2040
– Une interaction avec chatGPT, c’est 10 à 30 fois plus d’électricité qu’une recherche Google
– En 2022, les data centers liés à l’IA et aux crypto-monnaies représentaient 2% de la production mondiale d’électricité”
C’est aussi un visuel bien précis qui a scandalisé la toile. Pour promouvoir un site de libertinage, un internaute a généré un “starter pack” de Gisèle Pelicot, victime de l’affaire ultra médiatisée des viols de Mazan et aujourd’hui considérée comme une grande figure féministe et de courage. On peut voir la française habillée d’un pyjama aux côtés d’éléments renvoyant aux viols dont elle a été victime, soit un lit, un médicament et un appareil photo. L’image générée par une machine de surcroît sans âme, on ne peut plus scandaleuse et indécente, n’a pas manqué d’indigner le public. Car il est difficile d’imaginer un artiste humain dessiner un tel visuel au vu de la polémique et des répercussions judiciaires auxquelles il pourra faire face.
La question des droits d’auteur
En parallèle de cet ensemble de critiques, les artistes ont légitimement remis sur la table la problématique des droits d’auteur. En effet, de nombreux “starter packs” sont directement inspirés du style d’illustrateurs précis, voire complètement copiés sur leur univers artistique. Un vol du travail des créatifs ni consentants ni rémunérés pour ces visuels.
Ce scandale fait écho à la polémique de fin mars où ChatGPT a généré des photos en images façon Studios Ghibli, faisant un pied de nez à son cofondateur Hayao Miyazaki, résolument contre l’IA. Pour cela, rien de plus simple. Il suffisait juste de transférer une de ses photos pour que l’IA la transforme en image copiée sur l’univers du studio.
Et si le droit peine à suivre le développement ultra rapide des IA, la loi est tout de même censée protéger les artistes et créatifs de toute copie, même si ses frontières avec l’inspiration et l’influence sont parfois fines.
Selon le site Le Monde du Droit : “En premier lieu, toutes les données utilisées par les IA génératives ne sont pas protégées par le droit d’auteur. Les IA génératives sont entraînées sur de vastes ensembles de données, qui comprennent notamment des corpus publics disponibles sur Internet […]. Or, selon un célèbre adage juridique, “les idées sont de libre parcours”. Cela signifie concrètement que le droit d’auteur est là pour protéger les œuvres de l’esprit qui font preuve d’originalité (c’est-à-dire qui reflètent la personnalité de leur auteur) mais qu’a contrario, le droit d’auteur ne saurait être utilisé pour protéger de simples faits, informations brutes, idées ou concepts exprimés ou relatés sur Internet”.
Les organismes de défense des artistes appellent ainsi à une clarification et une régulation des lois pour mieux protéger les créatifs – et de manière plus rapide – autour notamment de trois piliers pour l’entité AGAGP : la rémunération, la transparence (concernant les inspirations des IA) et le consentement.
Si le droit peut être lent quand il s’agit de faire évoluer rapidement les textes et qu’il est encore difficile de sanctionner une IA et leur utilisateur, la sensibilisation du public est un enjeu crucial pour, comme dans le cas du “starter pack”, éduquer sur les dérives de cet outil et faire valoir le travail des artistes.
Lire aussi : De l’IA chez Christie’s : scandale aux enchères
Photo à la Une : © Tiktok Canal