Le producteur mythique de Michael Jackson mais aussi, trompettiste, et arrangeur-compositeur au groove hors pair, s’en est allé ce dimanche 3 novembre, à l’âge de 91 ans. Véritable légende de la musique avec pas moins de 70 nominations aux Grammy Awards (dont 27 titres), Quincy Jones laisse un patrimoine sonore et cuivré d’une grande richesse au carrefour des genres musicaux.
“Just you and nothing else… You and nothing else”.
C’était le 27 juin 2019 que résonnait le hit le plus personnel le plus célèbre de Quincy Jones, Ai No Corrida (1981) au sein de l’Accor Arena.
Un morceau tout en cuivre interprété par un orchestre symphonique et en présence de l’artiste lui-même, bien décidé à fêter comme il se doit 70 ans de carrière, jalonnée de rencontres, de découvertes et de hits qui ont laissé une empreinte indélébile auprès de plusieurs générations.
Le parterre d’invités prestigieux présents ce soir-là était à l’image de sa vie, dont le carnet d’adresses était un authentique Who’s Who de l’industrie musicale américaine sur sept décennies : Ray Charles, Lionel Hampton, Aretha Franklin, Frank Sinatra, Sarah Vaughan, Miles Davis, Barbra Streisand, Michael Jackson…
Une vie à cent à l’heure, qui s’est arrêté le 3 novembre 2024 à Los Angeles. Il avait 91 ans.
Graine de gangster
Pourtant rien ne prédestinait Quincy Delight Jones à devenir “Mr. Q”, soit une figure d’autorité respectée et capable de canaliser les égos de superstars de la pop, du rock et du jazz comme Michael Jackson, Bob Dylan ou encore Miles Davis.
Né en 1933 à Chicago, capitale du crime made in USA qui vit alors les dernières heures de la Prohibition, il aurait eu toutes les raisons de mal finir. Son père, violent, était directement lié au gang des Jones Boys, bande rival du parrain des parrains de l’époque, un certain Al Capone, tombé pour fraude fiscale, deux ans plus tôt.
Suite à une grave crise de schizophrénie, sa mère finit par être internée dans un hôpital psychiatrique. Il a onze ans quand son père demande le divorce et décide d’échapper aux hommes de la pègre, fuyant avec lui à Bremerton (Washington) avant de migrer à Seattle.
Il fait aussitôt la rencontre inattendue qui va changer sa vie à jamais et le sauver de la tentation d’une carrière dans la mafia : celle avec un piano. Le contact avec les premières notes dans une salle des fêtes a sur lui l’effet d’un véritable déclic : « Quand je l’ai touché, chaque cellule de mon corps m’a dit que c’est ce que je ferai le restant de ma vie. » a déclaré Quincy Jones au Hollywood Reporter.
Pionnier dans l’industrie musicale
Dès lors, il se met à la musique, en commençant par le piano en autodidacte. Un professeur remarque son intérêt et lui donne des cours de solfège en échange d’heures de garde de ses enfants. Ce sera ensuite le trombone puis la trompette qui ne tarde pas à devenir son instrument de prédilection. Et en la matière, il va apprendre le sens du rythme avec pour “professeurs” Clark Terry, approché avec un certain culot lors de la fanfare du lycée et Duke Ellington. Quincy fait aussi partie d’un orchestre semi-professionnel dirigé par Bumps Blackwell.
Ecumant les clubs alentour, il joue aux côtés de Ray Charles, de deux ans son cadet et avec qui il partage ses années de galères et qui deviendra un ami pour la vie. Il n’oubliera jamais cette époque où la nourriture vient à manquer, l’obligeant à manger du rat grillé ou encore le froid de son appartement qui engourdissait ses membres.
C’est à cette époque qu’il croise le chemin de deux légendes de la musique, qu’il produira par la suite : Aretha Franklin et Stevie Wonder. Il se fait également engager au sein de l’orchestre de Lionel Hampton.
A sa majorité, il obtient une bourse pour intégrer la Schillinger House, à Boston (Massachusetts) qui deviendra la prestigieuse Berklee School of Music, en 1958.
Un an plus tard, il est à New York, travaillant avec Count Basie, Tommy Dorsey et Dinah Washington.
En 1957, Il décroche un job au sein du label Barclays lors d’un voyage à Paris. Fort d’une formation maison, il supervise pendant deux ans les sessions d’enregistrement pour des artistes comme Jacques Brel ou Charles Aznavour. Il se rend à plusieurs reprises chez la pianiste, chef d’orchestre, compositrice et pédagogue Nadia Boulanger afin de de se perfectionner dans l’écriture pour cordes, l’harmonie et l’analyse des œuvres classiques avant de retourner aux Etats-Unis.
Impressionnée par son travail réalisé à Paris et son parcours dans le milieu du jazz, le label américain Mercury Records en fait son vice-président. Il devient ainsi en 1961 le premier afro-américain à accéder à un poste de direction dans l’industrie musicale. Cette même année, il obtient son premier grand succès dans la pop, en produisant It’s My Party de Leslie Gore.
Trois ans plus tard, il se concentre sur le métier d’arrangeur et de chef d’orchestre, nouant des liens privilégiés avec Dizzy Gillespie et tout particulièrement Frank Sinatra. En 1969, lors de son alunissage, l’astronaute Buzz Aldrin écoute Fly me to the moon , le hit phare du crooner.
Producteur de l’album le plus vendu de tous les temps
En 1978, Quincy Jones rencontre, à l’issue du tournage de The Wiz, adaptation en comédie musicale du magicien d’Oz, Michael Jackson. Ce dernier souhaite alors se départir du label Motown pour son cinquième album solo.
“Mr Q” obtient ses lettres de noblesse avec celui qui ne tarde pas à décrocher le titre de roi de la pop via sa carrière solo. Il produit ainsi sant rien de moins que les trois meilleurs albums de l’artiste au moonwalk : Off The Wall (1979), Bad (1987) et surtout Thriller (1982).
Ce dernier album contenant le hit éponyme au rythme endiablé et au mythique clip horrifique devient l’album le plus vendu de l’histoire, avec 70 millions d’exemplaires. Le mythique opus lui vaut de décrocher le titre de producteur de l’année 1981 ainsi que celui d’album de l’année !
Autre record, à son actif, celui d’un des singles les plus vendus de l’histoire (plus de 20 millions d’exemplaires) avec We are the world, réalisé par USA for Africa, groupement de circonstance à visée caritative impliquant la quasi-totalité des grands noms de l’industrie musicale américaine des eighties contre la famine en Ethiopie.
En 1962, Quincy Jones avait sorti un album, Big Band Bossa Nova, avec le célèbre titre “Soul Bossa Nova”. En 1981, son évolution transpaît dans un album aux sonorités plus disco et funk : The Dude (1981). On y trouve son plus grand hit personnel : Ai No Corrida ou encore le titre que choisira l’homme en noir, Thierry Ardisson, pour marquer la fin de son émission Salut les Terriens, Razzamatazz.
Quincy Jones est aussi à l’origine de nombreux morceaux : outre Fly me to the moon, on lui doit notamment Billie Jean, Beat it mais aussi You don’t own me.
Le cinéma le sollicite également, plus d’une trentaine de fois : Quincy Jones signe ainsi la bande originale des films La couleur pourpre de Steven Spielberg (1986), Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison (1967), The Wiz (1978) ou encore celle de Le prêteur sur gage de Sidney Lumet (1964).
Avec 27 récompenses aux Grammy Awards au cours de sa carrière, Quincy Jones aura ainsi talonné le chef d’orchestre Georg Solti (31 victoires) et la chanteuse Beyoncé (32 victoires).
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Photo à la Une : © Jason LaVeris/FilmMagic