Dans le film The Apprentice réalisé par Ali Abbassi, il est censé être un personnage secondaire. Mais dans les faits, il est bien le protagoniste de l’ascension de Donald Trump. Ce dernier, héritier d’un vaste empire immobilier, se tournera ensuite vers le divertissement puis la politique grâce aux conseils de son mentor. Avocat et procureur redoutable et redouté, Roy Cohn, tel un pygmalion maléfique, a façonné Trump, lui donnant les clés pour accéder à la fonction suprême.
On dit souvent que tout individu serait la somme des cinq personnes qu’il côtoie le plus au quotidien.
Or, bien que Roy Cohn soit mort en août 1986, il est indéniable qu’il a en grande partie contribué à la transformation de Donald Trump en bulldozer de la promotion immobilière entre la fin 1970 et le milieu des années 1980. Une mue qui permettra à l’homme politique à la houppette blonde de devenir le 45e président des Etats-Unis le 9 novembre 2016. Une occasion de faire résonner la bande son du film Air Force One par le compositeur multi-oscarisé Jerry Goldsmith (1997).
Car l’avocat devenu conseil juridique personnel de Donald Trump et de son père n’a pas seulement terrorisé les barons de la politique new yorkaise : il a également théorisé la pensée sur laquelle se fonde l’ex-président des Etats-Unis.
Disciple du Maccarthysme
Le sulfureux avocat des Trump, Roy Cohn, est né dans le quartier du Bronx, à New York en 1927, d’un père juge et d’une mère envahissante. A grands coups de Favor Bank (combine locale de marchands d’influence), le paternel, exerçant en tant que juge du Bronx, parvient à se hisser à la Cour suprême de New York. A l’issue du krach boursier de 1929, son oncle à qui il rend visite est incarcéré pour fraude bancaire dans la célèbre prison de Sing Sing, située au nord de la ville, le long de la rivière Hudson.
Diplômé en droit de l’université de Columbia, Roy Cohn ne tarde pas à devenir l’assistant du procureur fédéral. Il n’a même pas 20 ans lorsqu’il parvient à obtenir la condamnation et l’exécution des époux Rosenberg en 1951, soupçonnés d’être des espions soviétiques. Bien décidé à envoyer Ethel Rosenberg sur la chaise électrique au même titre que son mari Julius, il parvient à convaincre le frère de cette dernière, Paul Greenglass, de revenir sur sa déclaration et utilise même un enregistrement audio illicite pour obtenir la peine de mort des deux époux.
Mais la véritable renommée, il l’obtient en devenant l’avocat principal – certains media diront même “le cerveau”- du tristement célèbre sénateur du Wisconsin, Joseph McCarty. Ce dernier, décidé à combattre l’ennemi soviétique sur le sol américain, se lance dans une véritable purge contre les « sympathisants communistes » réels ou supposés du gouvernement jusque dans les plus grands studios hollywoodiens.
Ironie de l’histoire, Roy Cohn a beau s’avérer être un homosexuel en privé, il n’hésite pas à persécuter ceux qui partagent ses préférences sexuelles en les privant de leur emploi au sein du gouvernement, au cours de l’époque dite “Lavender Scare” (ou peur de la lavande).
Habitué des soirées du Studio 54, célèbre night club et havre de consommation de drogues – de son ouverture au printemps 1977 à sa fermeture pour évasion fiscale de ses propriétaires en 1979 – il a exercé son influence en tant qu’ami des stars comme Barbara Walters, Andy Warhol ainsi que le couple présidentiel Ronald et Nancy Reagan.
Si Edward Bernays a théorisé les relations publiques, Roy Cohn a excellé en tant que “Power Broker”, littéralement courtier en pouvoir, usant de ses combines et de son réseau tentaculaire pour obtenir l’acquittement de ses clients comme de sa propre personne. Il avait par coutume de ne pas réclamer nécessairement d’argent de la part de sa clientèle, préférant exiger d’eux une fidélité indéfectible.
Radié du Barreau quelques jours avant sa mort pour escroquerie de clientèle, il niera jusqu’à son dernier souffle son homosexualité, préférant se dire malade d’un cancer du foie, plûtot que du sida qui l’emportera.
Théoricien du Wishful Thinking de Trump
Quand Roy Cohn croise Trump au début des années 1970, New York est gangréné par le trafic de drogue. La ville est une des moins sûres au monde tandis que le futur loup de la politique est un trentenaire aux abois. Son père et lui sont alors poursuivis par le gouvernement fédéral pour discrimination envers les locataires noirs de leur parc immobilier. C’est Cohn qui suggère à Trump de contrer le ministère de la justice, malgré un dossier présentant des preuves accablantes, en particulier un système d’annotation associé à chaque dossier locatif. L’affaire est finalement réglée suivant les méthodes habituelles de Roy Cohn basées en grande partie sur l’intimidation.
Ce premier fait d’arme pour les Trump lui vaut de devenir le conseiller juridique personnel de Donald Trump avant d’officier à titre d’avocat en faveur des intérêts globaux familiaux.
Dans le film d’Ali Abbassi, Roy Cohn campé par un Jeremy Strong, connu pour son rôle de l’ambitieux au sang froid Kendall Roy dans la série Succession, est magistral dans ce rôle d’avocat et procureur sans scrupule. Agissant tel un tuteur, Roy Cohn prend le temps d’inculquer à Donald Trump trois commandements, sorte de bréviaire de l’homme d’action revisité côté dark. Dans le film, ils se résument à “attaquer attaquer attaquer” ; “ne jamais rien admettre, nier tout en bloc” et “quelque soit l’issue, ne jamais admettre la défaite et toujours clamer victoire”.
Le plus important est très probablement la troisième et dernière règle qui porte en elle la “pensée magique” ou “Wishful Thinking” dont est coutumier l’ancien locataire de la Maison Blanche. Une pensée dominante de « battant », particulièrement vivace dans les années 80, dont les vestiges se retrouve même dans le morceau éponyme du groupe Go West, figurant même au générique du film Pretty Woman (si le film est sorti en 1990, il se base bien sur un récit eighties).
Midas Touch ou pacte faustien
Si la réalité s’avère sans doute plus complexe, le film The Apprentice présente Roy Cohn en véritable pygmalion de Donald Trump, transformant un jeune homme pressé mais hésitant en un requin de l’immobilier puis des relations publiques au sens large.
L’auteur du roman Fellow Travelers, présentant le personnage de Roy Cohn, Thomas Mallon, a ainsi déclaré que les media avaient à l’époque de l’élection de Donald Trump “sous estimé le rôle vampirique [de Roy Cohn] revenu d’outre-tombe grâce à Donald Trump. ”
Mike Reiss, scénariste de la série animée des Simpsons, avait déclaré s’être inspiré de Roy Cohn pour créer le redoutable avocat de Mr. Burns, sorte de “drone inhumain” (sans nom) devenu pour le show l’archétype de l’avocat marron. En amont de l’élection de Donald Trump, le Washington Post qui consacrait alors un article sur l’influence de Roy Cohn dans le style Trump, avait même titré “L’homme qui a montré à Donald Trump comment exploiter le pouvoir et instiller la peur”.
Le titre du film d’Ali Abbassi est aussi un clin d’œil à la fameuse émission de téléréalité éponyme diffusée pour la première fois en janvier 2004 sur NBC. Dans ce show télévisé passant au crible non sans humour les compétences professionnelles des candidats, Donald Trump se démarque par son laconique et impitoyable “You’re fired” (vous êtes virés). L’émission aura un impact bien plus important pour la suite, offrant une notoriété sans pareil au futur Président auprès de l’Amérique profonde.
Mais The Apprentice prend le parti pris de rendre à César ce qui est à César. Il laisse entendre que la construction identitaire et même idéologique de Donald Trump ne serait pas de son fait mais bien de celui de son “mentor”. Le film précise toutefois que si le maître montre le chemin à suivre, vient un jour le moment où l’apprenti surpasse le maître.
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Photo à la Une : © Herman Hiller/World Telegram & Sun