SAGA DE L’ETE : Villas refuges des créateurs – Episode 01 : Yves Saint Laurent et la Villa Mabrouka

De Miami à Tanger, en passant par la Côte d’Azur, Cascais ou les Hamptons, les plus grands noms de la mode ont trouvé, loin des podiums et des projecteurs, des refuges d’été où s’exprime leur génie créatif. Villas mythiques, maisons de famille, ateliers secrets ou châteaux, chacun de ces lieux d’exception incarne l’esprit, l’audace et l’art de vivre de leurs célèbres propriétaires. Première escale au Maroc, avec Yves Saint Laurent. 

 

Cet été, LUXUS MAGAZINE vous emmène chaque semaine en escale dans une résidence prestigieuse : un voyage en neuf épisodes à travers les lieux de villégiature emblématiques des grands couturiers. Notre périple commence au Maroc à la Mabrouka, résidence méconnue d’Yves Saint Laurent devenu un hôtel. 

 

©Villa Mabrouka

 

Nichée sur les hauteurs de Tanger, face au détroit de Gibraltar, la Villa Mabrouka fut l’ultime refuge intime d’Yves Saint Laurent durant la dernière décennie de sa vie. Aujourd’hui transformée en hôtel de luxe par le designer Jasper Conran, elle continue d’incarner une certaine idée du raffinement : un art de vivre entre beauté, silence et lumière, fidèle à l’âme tangéroise.

 

Un nom chargé de poésie : La Villa Mabrouka, la maison de la chance

 

C’est un mot doux, presque chuchoté : Mabrouka – qui signifie « bénie » ou « chanceuse » en arabe. Construite dans les années 1940 dans un style andalou, la villa s’élève sur une falaise surplombant la baie de Tanger. Elle fut achetée en 1997 par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, bien après leur premier coup de foudre marocain en 1966.

 

Loin de la notoriété de la Villa Majorelle de Marrakech, la Villa Mabrouka était un lieu plus intime, un havre de paix pour les derniers étés du couturier. Un lieu de silence, de lecture, d’inspiration, à l’écart des projecteurs mais riche d’une présence artistique diffuse. Tanger, à l’époque encore empreinte des fantômes littéraires de Paul Bowles, Jean Genet, Tennessee Williams, semblait être la toile de fond idéale à la retraite d’un créateur en quête de beauté et de tranquillité.

 

L’acquisition d’une maison-refuge

 

C’est en 1997 que Saint Laurent et Bergé acquièrent la Villa Mabrouka, comme un écho logique à leur amour inconditionnel pour le Maroc. Ils avaient déjà restauré le Jardin Majorelle à Marrakech, devenu un emblème de leur engagement culturel. À Tanger, ils trouvaient autre chose : la mer, le vent, une douceur nonchalante.

 

La rénovation de la villa fut confiée à Jacques Grange. L’architecte d’intérieur imagine une atmosphère digne d’un roman anglais des années 1950 : une couleur par salon, du rotin, des meubles confortables mais choisis avec soin. Loin de l’accumulation baroque d’objets d’art, Jacques Grange favorise la simplicité sophistiquée. Un décor pensé comme un refuge mental autant que physique. Dans son livre Les Paradis Perdus d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, le décorateur raconte : « Le thème était celui d’un Anglais excentrique des années cinquante venu vivre à Tanger. Yves voulait du chintz et une seule couleur par salon : un salon bleu, un jaune… C’était comme décorer une maison pour les personnages d’une pièce de Tennessee Williams.

 

Un jardin comme un monde à part

 

©Villa Mabrouka

 

Mais la Villa Mabrouka, c’est aussi un jardin. Ou plutôt, une succession de tableaux botaniques. Le paysagiste Madison Cox, proche collaborateur du couple, aménagea un paradis suspendu, en terrasses, entrecoupé de bougainvilliers, de citronniers, de roses blanches et de palmiers. Une piscine aux formes organiques s’inscrit dans la roche.

 

©Villa Mabrouka

 

Au fond du jardin, un pavillon signé par l’architecte américain Stuart Church ouvre sur la mer. C’est ici, à l’ombre d’un figuier, qu’Yves Saint Laurent aimait lire, dessiner ou simplement contempler l’horizon. Le jardin est aujourd’hui encore l’un des plus beaux de Tanger.

 

La retraite d’un esthète

 

Durant la dernière décennie de sa vie, Yves Saint Laurent fit de la Villa Mabrouka un lieu de lenteur et de méditation. Il y recevait peu, aimait le silence, les déjeuners sous les arbres, les ciels d’été pâles au-dessus de la baie. Le contraste avec le tumulte de Paris ou les obligations du monde de la mode était total.

Pour lui, le Maroc fut toujours plus qu’un pays d’adoption : une source inépuisable de couleurs, de formes, de senteurs. La Villa Mabrouka est un écrin discret de cette relation presque spirituelle.

 

Après Yves, un nouveau souffle signé Jasper Conran

 

Après le décès d’Yves Saint Laurent en 2008, Pierre Bergé ne revient plus à la Villa Mabrouka. La maison reste sous l’égide de la Fondation Majorelle, mais sans habitant, elle s’endort lentement. Jusqu’à ce qu’un nouveau chapitre s’ouvre en 2019.

Le designer britannique Jasper Conran, passionné par le Maroc, rachète la villa. Il n’en est pas à son coup d’essai : son hôtel L’Hôtel Marrakech, ouvert en 2016, a été acclamé pour sa sensibilité esthétique et son respect du patrimoine local. Avec la Villa Mabrouka, il voit plus grand : créer un hôtel de luxe, mais fidèle à l’âme du lieu.

 

Une métamorphose en douceur

©Villa Mabrouka

 

Durant quatre années, Jasper Conran dirige la rénovation de la villa avec un soin maniaque. Pas question de trahir les lignes modernistes d’origine, ni l’esprit singulier insufflé par Yves Saint Laurent et Jacques Grange. Jasper Conran agrandit, rénove, mais sans rien imposer de trop visible.

Aujourd’hui, la Villa Mabrouka est un hôtel de douze chambres réparties entre la maison principale et des pavillons dans le jardin. Le confort est absolu, mais discret. Trois restaurants, un bar rooftop, deux piscines, un jardin restauré dans ses moindres détails. L’expérience est celle d’un hôtel qui accueille comme dans une maison d’exception.

Les couleurs sont douces, les matériaux nobles, l’artisanat marocain omniprésent. La villa retrouve sa vocation première : être un refuge d’esthètes.

 

Un hôtel, mais surtout un art de vivre

Ce qui frappe, lorsqu’on franchit les lourdes portes en bois sculpté de la Villa Mabrouka, c’est l’impression immédiate de paix. Le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux, la lumière filtrée par les moucharabiehs. Tout incite à ralentir, à se reconnecter au temps long.

Les hôtes lisent au bord de la piscine, prennent leur petit déjeuner sur les terrasses ombragées, ou descendent à pied vers la médina. Le service est attentionné, sans être pesant. Le luxe ici, c’est l’élégance de l’instant.

La cuisine célèbre les produits locaux, avec des influences méditerranéennes et marocaines. Le bar sur le toit offre des couchers de soleil inoubliables sur le détroit de Gibraltar. Rien ne semble ostentatoire, tout respire la beauté sincère.

 

Tanger, la ville éternellement créative

© Haitam Elkadiri/Unsplash

 

On ne saurait parler de la Villa Mabrouka sans évoquer Tanger. La ville a toujours attiré les âmes sensibles à l’invisible. Des écrivains américains exilés aux peintres fascinés par la lumière du Nord marocain, Tanger est un kaléidoscope culturel.

 

Aujourd’hui encore, la ville séduit une nouvelle génération de créateurs, attirés par son atmosphère bohème, ses galeries émergentes, ses cafés historiques et ses plages ourlées. La médina, la Kasbah, les ruelles sinueuses, les souks parfumés, la corniche moderne : tout ici respire le mélange, l’échange, la poésie. Parmi les incontournables, on ne manque pas le Café Hafa pour un thé à la menthe en surplombant la mer, le Petit Socco pour sentir le cœur vivant de la ville, le parc Perdicaris pour son havre de verdure, les grottes d’Hercule ou encore le musée de la Légation américaine. Tanger est une promesse de rencontres, d’émotions, de beauté brute. Un parfait écrin pour un hôtel comme la Villa Mabrouka.

 

Andres Giusto/Unsplash

 

La Villa Mabrouka n’est plus la maison d’un seul homme, mais elle n’a rien perdu de son âme. Grâce à Jasper Conran, elle est redevenue ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une ode à la lumière, à la lenteur, à la créativité. Un hôtel rare, où l’on ne vient pas seulement dormir, mais se retrouver.

 

À Tanger, là où les continents se frôlent, la Villa Mabrouka continue d’exister comme un lieu suspendu. Une maison de la chance, pour ceux qui savent encore reconnaître la beauté sans tapage.

 

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Photo à la Une : montage piscine de la Mabrouka et portrait d’Yves Saint Laurent

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