Effectué mardi 9 juillet, le lancement réussi de la fusée Ariane 6 marque un tournant stratégique pour l’Europe dans la course internationale à l’espace. Cet événement, survenu en Guyane française, symbolise le retour de l’autonomie spatiale européenne et la montée en puissance face à la concurrence féroce de SpaceX et des autres acteurs internationaux.
L’Europe célèbre aujourd’hui un événement marquant pour son programme spatial avec le succès du vol inaugural de la fusée Ariane 6. Ce lancement attendu s’est déroulé ce mardi depuis Kourou, en Guyane française, et a permis de mettre en orbite plusieurs micro-satellites.
Ce succès symbolise le retour de l’Europe à une autonomie spatiale après une année d’absence et marque un tournant stratégique face à la concurrence féroce de SpaceX.
« L’Europe est de retour », a déclaré Joseph Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA). L’ESA est une organisation indépendante de l’Union européenne, mais qui met en œuvre les programmes de l’UE en matière d’espace.
« C’est un jour historique pour l’ESA et pour l’Europe », a pour sa part souligné Philippe Baptiste, directeur du Centre national d’études spatiales (Cnes) français.
Ce lancement marque la fin d’une période difficile pour l’Europe qui avait perdu son accès autonome à l’espace après la fin de l’exploitation d’Ariane 5 il y a un an. Une excellente nouvelle puisque l’économie spatiale s’annonce florissante : selon le cabinet Novaspace, elle devrait représenter 822 milliards de dollars dans 10 ans, près de deux tiers de plus qu’aujourd’hui.
Défi technologique
À Kourou, la tension était palpable dès le début du décompte. Ariane 6 s’est finalement élevée dans le ciel sous les acclamations de la salle de contrôle. Chaque phase du vol, scrutée avec attention, s’est déroulée conformément aux prévisions. Le moteur Vinci, principale innovation de ce nouveau lanceur, a parfaitement rempli son rôle en permettant l’éjection des satellites sur différentes orbites, malgré un léger dysfonctionnement en fin de mission.
Décidée en 2014, Ariane 6 est conçue pour placer des satellites en orbite géostationnaire à 36 000 kilomètres d’altitude, tout en étant capable de mettre en orbite des constellations à quelques centaines de kilomètres de la Terre. L’étage supérieur de la fusée, équipé du moteur rallumable Vinci, constitue une avancée majeure. Ce vol inaugural a permis de vérifier l’opérationnalité de la fusée, notamment la capacité de son moteur à se rallumer plusieurs fois.
Le nouveau lanceur lourd Ariane 6 existe en deux versions : l’Ariane 62, équipée de deux boosters, et l’Ariane 64, équipée de quatre boosters. Pour ce premier lancement, c’est la version la plus « petite » qui a été choisie. Malgré cela, l’engin mesure tout de même 56 mètres de haut et pèse 530 tonnes. La mission, d’une durée de 2 heures et 50 minutes, a permis de déployer onze charges utiles, dont des CubeSats et des microsatellites.
Ariane, symbole européen
Le programme Ariane, lancé il y a plus de 30 ans, a été un pilier de la conquête spatiale européenne, assurant la mise en orbite de satellites commerciaux et scientifiques avec une fiabilité exceptionnelle. « Elle a fourni un accès à l’espace à l’Europe, à tous les opérateurs commerciaux en termes de satellites de communication. Elle a créé un climat de confiance vis-à-vis de ses acteurs, avec une fiabilité extraordinaire », rappelle Christian Barbier, astrophysicien et ancien chef de projet au centre spatial de Liège.
Ariane 5, par exemple, a propulsé le télescope spatial James Webb et le satellite Envisat, révolutionnant l’observation de la Terre. En concurrence avec les Américains, les Russes et les Chinois, la légendaire fusée a réussi à s’emparer de 50% du marché des lanceurs spatiaux.
Depuis le dernier vol d’Ariane 5, l’Europe n’avait plus la capacité de mettre en orbite ses satellites par elle-même, dépendant du lanceur russe Soyouz, tiré pendant 10 ans depuis la Guyane, et souffrant des échecs de la fusée Vega-C, clouée au sol depuis fin 2022 après un accident.
Cette situation a été aggravée par la concurrence agressive de SpaceX, dont les lanceurs réutilisables Falcon-9 ont révolutionné le marché avec des coûts de lancement considérablement réduits.
« Quand SpaceX fragilisait Ariane, c’était la France qui semblait la plus touchée. Aujourd’hui, comme cela concerne toute la chaîne de valeur, c’est l’Europe entière qui est visée », estime Stéphane Israël, président exécutif d’Arianespace. « Personne ne peut accepter cette surdomination », affirme-t-il, se disant persuadé que les acteurs de l’industrie spatiale européenne « vont s’organiser pour trouver des alternatives ».
Guerre des étoiles
En septembre dernier, le sommet du G20 à New Delhi a mis en lumière le rôle international croissant de l’Inde, cherchant à s’affirmer face à la Chine et à devenir la seconde puissance mondiale. Ses succès dans l’espace renforcent cette ambition.
Une semaine avant le début du G20, l’Inde a en effet lancé la sonde Aditya-L1 vers le Soleil, symbolisant ses ambitions spatiales. Moins d’un mois auparavant, l’alunisseur indien Vikram avait réussi à déposer un robot sur le sol lunaire, une prouesse réalisée uniquement par les États-Unis et la Chine jusque-là.
L’Inde, premier pays asiatique à placer un satellite en orbite autour de Mars en 2014, est maintenant dans le peloton de tête des puissances spatiales. La course à la lune est intense, avec les États-Unis et la Chine en compétition. Le programme Artémis, auquel participent 28 pays, dont la France, prévoit de déposer deux astronautes sur la Lune d’ici 2025. La Chine a déjà réussi à déposer un module sur la face cachée de la Lune en 2019.
L’espace extra-atmosphérique, au-delà de 100 kilomètres d’altitude, est un lieu de compétition et de confrontation entre les puissances. La maîtrise de l’accès à l’espace est cruciale pour l’autonomie des États. Dans les années 1960, seuls la Russie, les États-Unis et la France avaient ces capacités. Aujourd’hui, une dizaine de pays, dont Israël, l’Iran et les deux Corées, peuvent lancer des satellites. Cependant, l’espace risque une densification excessive. Depuis 1957, environ 14 500 satellites ont été lancés, dont la moitié est encore opérationnelle. Plus de 34 000 objets de plus de 10 cm et 900 000 objets de plus d’un centimètre sont en orbite.
Longtemps considéré comme un bien commun de l’humanité, l’espace est de plus en plus militarisé. Le traité de 1967 interdit les armes de destruction massive dans l’espace, mais n’empêche pas sa militarisation. L’espace est crucial pour les opérations militaires, comme l’a montré la guerre en Ukraine où les satellites StarLink d’Elon Musk ont aidé les forces ukrainiennes.
La guerre des étoiles est finalement bien une réalité, se manifestant avec des manœuvres d’interception, de brouillage et de destruction de satellites par des missiles.
Photo à la Une : © ESA