Fin 2023, WeWork était placé en redressement judiciaire. Le business model du spécialiste américain des espaces de travail partagés l’avait mené vers les plus hautes cimes des valorisations boursières à 50 milliards de dollars. Mais il avait flanché après la pandémie, qui a accéléré le télétravail dans les entreprises, mais aussi en raison d’une mauvaise gestion de ses frais de fonctionnement. Revenue de loin, l’entreprise compte sur la rationalisation récente de ses actifs immobiliers pour revenir en force dans le paysage professionnel.
Conter l’histoire de WeWork, ce n’est pas seulement poser un regard sur les dangers inhérents à l’hypercroissance d’une entreprise et à l’hybris du décideur en entreprise. Celle d’un leader charismatique plombé par des comportements mégalomanes au point d’être débarqué de sa propre société par le fonds d’investissement japonais Softbank, celui-là même qui l’avait fait roi…
C’est aussi découvrir le pouvoir caché des mots dans un pitch qui peuvent vous mener au sommet… à condition bien sûr de pouvoir honorer ses promesses auprès des investisseurs.
Ainsi, pour tutoyer les cieux de la finance, le controversé cofondateur et pdg de WeWork, Adam Neumann, n’avait pas hésité à présenter ce qui n’était qu’une simple société de sous-location immobilière (sans actif immobilier donc)… en une entreprise tech. Le tout à une époque où l’argent coulait à flot et où le mot proptech ne circulait pas encore dans les allées des Salons professionnels…
L’aventure WeWork n’a pourtant pas encore dit son dernier mot : placée en redressement judiciaire fin 2023, et fortement affectée sur les marchés américains et canadiens, l’entreprise pourrait bien retrouver de sa superbe… à Paris. On peut y voir le fruit d’une restructuration de grande ampleur et de la conservation des emplacements les plus solides de la société.
Une idée surévaluée
Fondée à New York en 2010, WeWork est l’œuvre de Miguel McKelvey et du fantasque Adam Neumann. Ensemble, ils cherchent à réinventer l’espace de travail. Deux phénomènes appuient leur flair. D’un côté, salariés et cadres souffrent d’un individualisme grandissant dans un open space gris. De l’autre, de nouveaux boucaniers des temps modernes, freelances et autres entrepreneurs, fatigués de leur solitude sont en quête d’opportunités de réseautage.
Dans ces immeubles de bureaux de grand standing sous-loués à des professionnels, convivialité et flexibilité sont les maîtres mots. Cette pratique du bureau partagé ou coworking a beau déjà exister, Adam Neumann a l’idée aussi audacieuse qu’irresponsable de présenter WeWork comme une entreprise tech.
Du choix de la déco à la gestion des locaux, tout est confié au bon soin des algorithmes. Pour ce faire, chaque mètre carré de bureau est truffé de capteurs, générant des millions de données : du taux d’occupation des fauteuils à la consommation de café, en passant par la hauteur individualisée des bureaux et des horaires de pause.
Le pdg l’assume « Oui, on mesure tout pour voir quels espaces sont plus utilisés ou pourquoi certaines choses marchent plus que d’autres ». Et de poursuivre « On ne loue pas des bureaux, on vend une expérience, une communauté. ». Une expérience vendue entre 240 et 400 euros par mois aux indépendants. Mais très vite, l’entreprise doit étendre son cœur de cible aux startups et aux grandes entreprises intéressées par le flex office pour stabiliser leurs revenus.
Une croissance incontrôlée
Début 2019 est sans conteste l’acmé de WeWork, alors valorisée près de 47 milliards de dollars, au coude à coude avec Twitter et Uber ! Une croissance si insolente que l’entreprise annonce tambour battant se lancer en bourse la même année. L’entreprise américaine gère alors 777 immeubles de bureaux dans 150 villes et 39 pays.
Mais si l’entreprise – l’inverse de bon nombre de start-ups- dégage un important chiffre d’affaires, jusqu’à 2 milliards de dollars, les meilleures années, elle perd aussi plus de 3 milliards de dollars par an ! Il apparaît alors que WeWork et sa gestion de 1,8 millions de mètres carrés de bureau est en fait un géant aux pieds d’argile dont le chiffre d’affaires ne permet pas d’absorber les dettes.
Ajoutez à cela, le problème Adam Neumann, ses décisions brutales et parfois mêmes non motivées, sans compter ses dépenses excessives avec des acquisitions tout azimuts et sa dispersion : en deux mots, un manager flou. Megalo, Adam Neumann a aussi pour projet d’étendre le concept WeWork en une WeCompany. Il s’agit de s’intéresser au logement individuel (WeLive), aux salles de sport et piscines (Rise by We), à l’éducation des enfants dès deux ans pour leur transmettre la fibre entrepreneuriale (WeGrow).
Inquiet par une gestion aussi erratique de l’entreprise et par le report de l’entrée en bourse, Softbank, l’argentier des premières heures, parvient à racheter 80% des parts de la société et ainsi à débarquer le dispendieux pdg en septembre 2019.
Un modèle à reconfigurer
Une fois séparé du controversé pdg alors qu’il s’apprêtait à s’attaquer à la banque et aux EPHAD (WeBank et WeAge), les nouveaux actionnaires majoritaires font le choix de nommer à la tête de l’entreprise un expert en immobilier dans l’espoir de la redresser. Mais c’est sans compter sur le covid qui sape les bases déjà fragiles de WeWork.
D’autant que la pandémie voit apparaître un nouveau mode de travail, le télétravail et un nouveau spécimen pouvant travailler depuis son domicile, le télétravailleur.
Jadis décrié, le modèle séduit par delà les océans et la pandémie, au point que l’entreprise se retrouve avec des immeubles de bureau quasi vides et par conséquent impossibles à rentabiliser. Résultat : WeWork doit faire face à un endettement de 18,6 milliards de dollars, tandis que 100 millions de dollars de loyers restent impayés.
En novembre 2023, WeWork n’a plus le choix et dépose le bilan aux Etats-Unis, dans l’espoir de restructurer sa dette. 400 sites sont concernés sur le sol américain et au Canada, tandis que 3400 salariés sont licenciés.
Au milieu de cette hécatombe, la France, troisième marché par la taille, se retrouve relativement épargnée, avec la conservation de ses 75 salariés. Sur la vingtaine de sites à Paris et en proche banlieue, la filiale française de WeWork a annoncé en avril se séparer de cinq sites de bureaux partagés (dans les 8e, 9e, 17e et 19e arrondissements et à la Défense) et fermer trois sites dédiés à des clients uniques.
Dans un communiqué, WeWork France a annoncé “l’achèvement du processus de rationalisation des baux de la société à Paris« . Pour se redresser, l’entreprise souhaite se concentrer sur « les emplacements parisiens les plus solides de la société ». Ses fleurons historiques que sont celui des Champs-Élysées ou celui de la rue La Fayette à Paris sont amenés à relancer le moteur de l’ex-géant du coworking.
Sur le plan mondial, WeWork est ainsi parvenu sortir du statut du Chapitre 11 de la loi sur les faillites aux Etats-UnisSelon un porte-parole de la société « en renégociant plus de 190 baux et en quittant plus de 170 sites peu performants à travers le monde, WeWork a considérablement renforcé sa position financière et est désormais sur la voie d’une rentabilité durable. » Et de compléter » Grâce à sa restructuration, WeWork a aujourd’hui éliminé plus de 4 milliards de dollars de dettes antérieure à la procédure de faillite […] se retrouvant dans une situation financière bien plus solide qu’avant son dépôt de bilan ».
L’entreprise est ainsi parvenue à engendrer « des économies de loyer annuelles de plus de 800 millions de dollars ».
L’époque « WeCrashed » – du nom de la mini série Apple TV+ contant la grandeur et la décadence de WeWork et de son facétieux pdg –semble derrière au point de pouvoir se passer en juin dernier du retour d’Adam Neumann, himself, venu en chevalier blanc proposer une offre de rachat à 500 millions d’euros !
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Photo à la Une : © DR