Accord du Mercosur : un nouveau point de friction dans l’Union Européenne

Alors que l’Union Européenne s’apprête à signer un accord de libre-échange avec les pays d’Amérique latine, la France, confrontée à des manifestations sans précédent du monde agricole, est un des rares pays membres à s’y opposer. De son côté, l’Allemagne, en pleine récession, est plus qu’enthousiaste à l’idée de voir les droits de douanes progressivement supprimés sur ses exportations de véhicules outre-atlantique, moyennant l’ouverture à la concurrence sur les denrées alimentaires.

 

“Viandes contre voitures”

 

C’est en substance, ce que prévoit le traité que souhaite signer l’Union Européenne d’ici la fin de l’année avec les pays du Mercosur. Celui-ci permettrait le développement économique via la libre-circulation des marchandises. Il retirerait ainsi les droits de douanes dans le Mercosur sur certains produits en provenance de l’Europe comme les automobiles, l’habillement et le vin et inversement sur des produits agricoles comme la viande, le soja et le riz importés d’Amérique du sud par l’Union européenne.   

 

Si certains y voient un intérêt stratégique pour leurs exportations, d’autres, au premier rang desquels la France, crient à la menace d’une concurrence perçue comme déloyale par leurs agriculteurs. 

 

Un accord préparé depuis 25 ans

 

La zone de libre-échange dite du Mercosur – contraction de Mercado Común del Sur (marché commun du sud) – a été conclue le 26 mars 1991 par le traité d’Asunción. Celui-ci a été signé par quatre pays que sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Ceux-ci ont été rejoints en 2012 par un cinquième pays : la Bolivie

 

Ces cinq pays représentent 80% du PIB de l’Amérique du Sud et autant de puissances agricoles avec pour chef de file le Brésil, principal producteur de la région. Ce dernier est également avec l’Argentine un géant de l’élevage intensif. 

 

L’Union Européenne a, pour sa part, posé les bases de sa négociation avec ces pays d’Amérique latine dès 1999. 

 

La présidente de la Commission européenne, Ursula Van Der Leyen, appelle de ses vœux la signature d’un tel accord de libre échange avec les cinq pays d’Amérique du Sud. 

 

Si l’accord venait à être adopté, il serait le plus important jamais signé par l’Union Européenne tant en termes de population (780 millions d’habitants pour les deux marchés ? chez ses partenaires américains du sud) qu’en volumes d’échanges avec à la clé entre 40 et 45 millions d’euros d’importations et d’exportations

 

L’accord du Mercosur prévoit la suppression de 90% des droits de douanes sur certains produits au sein des pays membres de part et d’autre de l’Atlantique. 

 

La mesure pourrait notamment bénéficier à l’industrie agroalimentaire, pharmaceutique et automobile européenne. 

 

Mais du côté des éleveurs, des sucriers et des céréaliers, c’est une autre histoire, en particulier en France, grande nation agricole. 

 

Une concurrence jugée “déloyale” en France

 

Depuis le lundi 18 novembre, d’Agen à Beauvais, la colère paysanne gronde partout en France, sous forme de manifestations et de blocages. Emmenée par le premier syndicat agricole du pays, la FNSEA et déterminée dans sa lutte, la filière agricole annonce pouvoir maintenir le mouvement de protestation jusqu’à mi-décembre. Une date qui coïncide avec le prochain sommet du Mercosur où se réuniront les pays d’Amérique latine, fixé du 5 au 7 décembre prochain. 

 

Sur fond de désindustralisation et de difficultés structurelles agricoles, l’opposition à la signature de l’accord a gagné le gouvernement et même le parlement, abolissant toute logique partisane. En chemin pour le G20 à Rio de Janeiro, Emmanuel Macron a rendu visite le 17 novembre à son homologue argentin. Face à l’ultralibéral Javier Milei surnommé le “Trump de la Pampa”, élu en décembre 2023, le président français s’est montré catégorique : “la France s’oppose à cet accord”. 

 

De son côté, le premier ministre français Michel Barnier s’est engagé à faire front devant la commission européenne et sa présidente Ursula Van Der Leyen : “dans les conditions actuelles, cet accord n’est pas acceptable par la France et ne le sera pas.”

 

Ce que craignent les élus et producteurs français, c’est notamment l’exportation de 99 000 tonnes de viande bovine par an en provenance des pays du Sud. 

 

Des pays menés par le Brésil, réputé moins strict en matière de normes environnementales et de contrôles sanitaires avec en prime l’utilisation décomplexée de produits pesticides, d’hormones de croissance et de farine animale, soit autant de pratiques interdites en Europe. 

 

Dans le détail, les volumes négociés apparaissent pourtant anecdotiques : les 99 000 tonnes de bœuf importés du Mercosur en Europe et les 180 000 tonnes de volailles représenteraient respectivement 1,2% et 1,4% de la consommation intérieure de viande bovine. De son côté, l’Europe des 27 exporte chaque année 40 millions de tonnes de viande par an. 

 

Si certaines voix mettent en avant l’existence de garde-fous comme des quotas bien établis et des contrôles aux frontières, d’autres rappellent que seul l’Uruguay est en capacité de tracer ses bovins

 

Xavier Bertrand, président de la région Haut-de-France cristallise la crainte existentielle des agriculteurs et éleveurs français, en déclarant :  “nos assiettes ne sont pas des poubelles.” Comme lui de nombreux professionnels appréhendent une guerre des prix qui favoriseraient le recours à des viandes en provenance d’Argentine ou du Brésil. 

 

Devant la levée de bouclier, des experts rappellent que certaines filières françaises en grande difficulté auraient pourtant tout à gagner à exporter davantage leur produit comme les viticulteurs, confrontés récemment à des épisodes climatiques extrêmes ou encore les laitiers et les professionnels de la filière porcine et bovine. 

 

A noter que malgré de vives protestations dans le pays, la France ne peut constitutionnellement rien faire en cas d’approbation du texte par la Commission Européenne mais elle peut encore l’empêcher. 

 

Allemagne et Espagne, fers de lance du Mercosur

 

Si la France freine des quatre fers et cherche à emmener avec elle d’autres pays convaincus d’avoir signé “un mauvais deal”, comme la Pologne et l’Italie, deux autres nations ont en revanche plus intérêt que les autres à la signature du traité. 

 

C’est le cas d’abord de l’Allemagne, en pleine récession. Son industrie automobile, jadis fleuron du pays, traverse actuellement  l’une des plus graves crises de son histoire. Nécessitant de nouveaux débouchés, l’ouverture de ce nouveau marché  représenterait une opportunité inespérée. Celui-ci se concrétiserait par 10% d’exportation en plus pour l’industrie automobile allemande, selon l’experte Elisabeth Young, experte automobile chez Wave auto. Elle rappelle notamment que le Mercosur représente le quatrième marché économique mondial. Sans compter que l’agriculture y possède un poids moindre dans son économie qu’en France. 

 

L’Espagne, de son côté, aurait tout intérêt à importer davantage de soja et de maïs pour nourrir sa filière porcine. La levée des taxes permettrait à la filière de s’approvisionner à moindres frais. Le gouvernement du premier ministre Pedro Sanchez a rappelé que cet accord était d’autant plus « nécessaire stratégiquement » que le pays à l’instar du Portugal, culturellement proche des pays du Mercosur, commerce déjà activement avec ces Etats membres. Lundi 18 novembre, le ministre de l’agriculture espagnol, Luis Plana, a ainsi défendu le traité : « C’est important de signer de nouveaux accords commerciaux pour maintenir notre influence économique. L’Espagne a toujours été très claire sur sa position. » 

 

Pour le Directeur de recherche au CNRS spécialisé sur l’Union européenne, Olivier Costa, cette “urgence de certains pays à signer cet accord” est essentiellement lié aux incertitudes entourant “la guerre en Ukraine,  la politique protectionniste de Trump à venir ou encore la guerre commerciale avec la Chine.”

 

Mais la situation n’est pas encore pliée, comme le soulignait la député européenne Nathalie Loiseau au micro de France info, le 22 novembre au soir. Seulement 11 pays sur les 27 de l’Union européenne, donc pas la majorité, étaient en effet alors favorables au texte en l’état.

 

Pour sa part, la France espère mettre en place une minorité de blocage. Pour cela, il lui faut composer une opposition composée de quatre Etats membres, représentant au moins 35% de la population européenne. Représentant à elle seule 15% de la population européenne en janvier 2020, la France a bon espoir de faire annuler l’accord au moyen de pays comme l’Italie (13,5% de la population européenne) et la Pologne (8,5%). 

 

Lire aussi > Javier Milei, le Trump de la Pampa élu à la Présidence de l’Argentine

Photo à la Une : Unsplash+

Victor Gosselin is a journalist specializing in luxury, HR, tech, retail, and editorial consulting. A graduate of EIML Paris, he has been working in the luxury industry for 9 years. Fond of fashion, Asia, history, and long format, this ex-Welcome To The Jungle and Time To Disrupt likes to analyze the news from a sociological and cultural angle.

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