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Rendez-vous avec un artiste (épisode 4) : Lucie Monin, de la poésie au bout des doigts

Rendez-vous avec un artiste (épisode 4) : Lucie Monin, de la poésie au bout des doigts

Lucie Monin est une artiste doreuse qui revisite depuis plus de 10 ans ce savoir-faire millénaire, l’adaptant à tous supports : de la mode à l’architecture, en passant par le design d’objet. S’inscrivant dans la lignée des artisans qui maintiennent l’existence des arts créatifs traditionnels ancestraux, elle sauvegarde par la transmission technique ce riche patrimoine, l’adaptant au goût du jour. De Loewe, Balenciaga, Delvaux ou encore Weston, ses compétences sont sollicitées par les Grandes Maisons pour la personnalisation de décors uniques lors d’événements ou la sublimation de pièces uniques.

 

 

Vous revisitez un savoir-faire traditionnel. Depuis quelques années, les arts créatifs manuels ont tendance à se perdre et ils ne sont pas forcément reconnus du public. D’ailleurs, les Maisons de Luxe se battent pour promouvoir l’apprentissage de ces derniers avant qu’ils ne périclitent. Comment avez-vous découvert la dorure et pourquoi vous a-t-elle transcendé au point de vouloir la faire perdurer ?

Je suis tombée amoureuse de cet art et de son histoire il y a environ 17 ans. Je souhaitais initialement m’orienter vers la restauration de livres puisque j’ai toujours été fascinée par l’archéologie et les objets anciens, dont les écrits. C’est en étudiant au Centre des Arts du Livre, anciennement au sein des Arts Déco, que j’ai découvert ces ouvrages recouverts de filigranes en or gravés sur des cuirs usés par le temps, reflétant un style, une époque et une histoire restée en suspens.

 

© Lucie Monin x Phi 1.618

 

Je m’en suis très rapidement imprégnée et j’ai pu commencer à explorer de nouveaux matériaux et différents designs grâce à un passage à l’Ecole Bleue, école d’architecture et de design. La maison Balenciaga m’a également permis de mettre réellement un pied à l’étrier. Ce savoir-faire m’attire par son authenticité, le besoin de faire appel à la patience et à la passion. J’ai par ailleurs une grande liberté d’expression puisque cette technique est à mi-chemin entre l’artisanat et l’art.

 

Pouvez-vous nous parler de ce précieux art qu’est le vôtre. Pour quels types de besoins les marques font appel à vous ? Comment abordez-vous l’élaboration d’un projet ?

Mon travail est volontairement précieux de par la matière que j’utilise – l’or – mais aussi parce que je réalise tout à la main. Les Maisons me contactent afin de créer des décors uniques qui seront commercialisés en série limitée ou en pièces d’exception. Ces collaborations artistiques viennent naturellement lorsque les univers mais également des valeurs communes d’excellence, de sens et d’humanité se rejoignent. Lorsqu’un projet débute, il y a toujours la phase recherche ; je présente des croquis et différentes propositions graphiques dont l’un sera par la suite retenu. Je travaille également avec les marques depuis 10 ans pour la gravure d’initiales dans le cadre évènementiel en France et à l’étranger. J’ai toujours plaisir à partager mon art avec des clients qui y sont sensibles ou ouverts tout simplement à la découverte.

 

© Lucie Monin x Loewe

De la fresque murale au sac à main en passant par le design d’intérieur, vos supports sont variés. En termes de techniques, comment se différencie le procès de la gravure sur mur de celui sur cuir ou tout autre matière ? Comment choisissez-vous vous ces dernières ? Et comment adaptez-vous votre travail en fonction ?

Comme j’ai choisi de toujours utiliser la même technique, j’adapte le support à cette dernière. Le champs des possible reste large car beaucoup de matériaux peuvent accueillir ces filigranes en or : comme le bois (brulé, vernis … ), le plexiglas, le papier, le papier peint, la stéatite, l’acétate, la laque … Je choisit les supports en fonction de la faisabilité mais aussi en fonction de l’aspect esthétique car le résultat doit être fort et cohérent.

 

Vous avez réalisé l’exploit de dorer des feuilles. On se rend compte que tout peut-être un élément propice à la sublimation. Quel est le projet le plus inattendu ou atypique sur lequel vous avez travaillé ?

J’aime m’amuser avec les objets ou les surfaces. Oui, j’ai présenté un projet assez inattendu et atypique à l’hôtel Hoxton en juin dernier lors de mon exposition « L’Antre de Lucie Monin ». Il s’agit d’une collaboration artistique avec le photographe Laurente Depaepe : une série limitée de portraits photos (70cm x 100cm) intitulée « Balance », évoquant l’équilibre des formes et des volumes. Le pointillisme en or vient souligner les zones de lumière, créant ainsi du relief mais aussi une osmose, un équilibre entre les deux techniques. Nous sommes en train d’imaginer d’autres séries à venir. Le résultat est très singulier, très précieux et s’intègre à merveille dans la déco !

 

Quel projet adoreriez-vous faire ?

Le projet dont je rêve serait de m’exprimer à travers tout un espace, intervenir du sol au plafond, en passant par tous les murs et les objets liés à ce lieu afin de créer un cocon précieux dans lequel on vient rêver, lire et se sentir bien… Un bon environnement entretient l’esprit, n’est-ce pas ? Au-delà de la création artistique en elle-même, aussi travaillée et harmonieuse soit-elle, se cache une recherche de sens.

 

© Lucie Monin pour AER Architecture

 

Au-delà de la création artistique en elle-même, aussi travaillée et harmonieuse soit-elle, se cache une recherche de sens. Que souhaitez-vous raconter ? Et comment inscrivez-vous cette narration par le dessin ?

Je souhaite mettre en exergue la douceur, la féminité. L’idée est de donner vie à toutes mes créations, créer du mouvement à travers chaque œuvre : apporter un rythme, définir des pauses, exprimer une poésie, une histoire et de trouver une notion d’équilibre esthétique. J’aime la notion de surprise,
intervenir là où l’on ne s’y attend pas.

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Chez de nombreux artistes, la question du temps est primordiale. Celle de savoir arrêter la course effrénée de ce dernier dans une société d’hyperactivité. Nous la retrouvons également chez vous dans ce besoin d’évasion et de rêve. Comment les exprimez-vous ?

En effet, c’est primordial ! Cela me permet de percevoir le monde autrement et de faire partager une partie de ma sensibilité. J’aime faire naître chez autrui ce même sentiment d’évasion, créer une pause allant à l’encontre du « futurisme de l’instant » présent dans la société actuelle où finalement le temps pour rêver n’a pas sa place. Je suis en quête d’équilibre esthétique, de quelque chose de simple, spontané, beau et précieux. En utilisant un savoir-faire très authentique et « brut », requérant patience et passion, j’ai accès à une liberté d’expression qui me permet de prendre le temps. Et ce savoir-faire en lui-même est un équilibre entre le passé et le présent…le temps a donc toute son importance.

 

© Lucie Monin

 

De par le choix de votre métier qui se pose dans la transmission, vos sources d’inspirations artistiques, votre recherche d’histoire et de sens, ainsi que votre intérêt pour le temps, vous semblez attachée au patrimoine culturel, émotionnel et créatif qui nourrit les civilisations et les guide dans leur expression. Que représente la tradition pour vous ? Comment l’harmonisez-vous avec le progrès et l’innovation ?

L’Histoire nous permet de mieux comprendre le monde actuel. Je vois la tradition comme un pilier sur lequel on a besoin de s’appuyer et une source inépuisable d’idées. Pour moi l’idée de transmission est importante et la tradition reflète cette démarche. Par exemple, j’ai beaucoup de mal avec les actes de vandalismes perpétrés à l’encontre des vestiges du passé. Comment l’harmoniser avec le progrès ? En créant une fusion entre la tradition et l’innovation : en continuant de dessiner et graver mes dessins à la main en utilisant ce savoir-faire ancestral et magique sur différents matériaux, qu’ils soient nobles, modernes, dotés de spécificités… ou encore au sein d’espaces contemporains. Le luxe n’est-il pas d’avoir au final une création unique, pensée et conçue juste pour soi ?

 

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Photo à la Une : © Lucie Monin


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