Le breuvage central de la société romaine de l’esclave au patricien, le vin et surtout son goût, restait un mystère pour les chercheurs. Une récente découverte publiée dans la revue archéologique Antiquity pourrait bien lever le voile sur ses caractéristiques à partir de son conditionnement.
“In Vino Veritas”(« Dans le vin, la vérité »), écrivait Pline L’Ancien.
Or, jusqu’ici robe, texture et surtout goût des vins qui étaient consommés par les romains, 2000 ans avant notre ère, nous étaient essentiellement parvenus à partir des récits des poètes antiques.
Fin janvier, les chercheurs Dimitri Van Limbergen de l’Université de Gand (Belgique) et Paulina Kamar de l’université de Varsovie (Pologne) ont peut-être résolu cet impénétrable mystère.
Pour y parvenir, le duo de chercheurs a eu l’idée insolite de ressusciter les récipients antiques (dolia) en les remplaçant par des modèles contemporains en terre cuite qui s’en rapprochent le plus par leur forme. Selon eux, ces contenants ont en effet un impact déterminant sur le caractère du vin.
Dolium dans la domus ?
Nous savons par les archéologues que les caves à vin, accueillant des récipients en terre cuite, étaient particulièrement répandues à la fin de l’époque républicaine et au début de l’Empire romain (soit, entre le IIIe et IIe siècle après J-C et le IIIe ou IVe siècle).
Parmi eux, on trouvait le dolium (dolia au pluriel), une grande jarre en terre cuite (pouvant contenir jusqu’à plus de 2000 litres) qui servait tout à la fois à la fermentation, au stockage et au transport de produits tels que le vin.
Pour restituer le goût que pouvait avoir le vin romain, les chercheurs ont eu l’idée de remplacer ces récipients antiques provenant de fouilles archéologiques par des qvevris, jarres ovoïdes traditionnelles au-dessus plus étroites que le corps, toujours utilisées en Géorgie pour la production et le stockage du vin.
A Rome, les contenants en terre cuite étaient enterrés dans le sol, peut-être même dans la plupart des maisons (domus). Selon l’étude, la base étroite du dolium permettait au raisin d’être séparé du liquide tandis que les pots étaient ensuite enfouis jusqu’au col, facilitant la fermentation, tout comme les qvevris géorgiens.
Le processus de vieillissement du vin permettait de produire du sotolon. Ce composé chimique aromatique présente une odeur distincte ainsi que des arômes que l’on retrouve habituellement dans le curry ou les noix grillées. Ces méthodes de fermentation donnaient également au vin une couleur orangée. De plus, la terre cuite du dolium donnait une sensation de sécheresse en bouche, particulièrement appréciée des romains.
En opérant certaines variations sur la forme du dolium, son niveau d’enfouissement et sa durée de fermentation, il est possible d’obtenir une large variété de saveurs, d’odeurs et de couleurs.
Il est ainsi possible par ces méthodes de retrouver les quatre couleurs que recensait Pline l’Ancien, à savoir albus (pâle, blanc), fulvus (jaune rougeâtre, fauve, ambré), sanguineus (rouge sang) et niger (noir).
Un vin partie intégrante du repas et de la cité
De Pline l’ancien à Diodore de Sicile en passant par Pétrone, nombre d’auteurs romains ont conté les très riches heures du vin romain, superstar du convivium (grand banquet).
En effet, dans la Rome Antique, le vin était parfaitement intégré dans la culture, la vie quotidienne et l’économie.
Bien que les romains étaient de grands buveurs par rapport à notre époque (entre 0,7 et 1 litre par jour selon une étude de André Tchernia), cette boisson issue des vignes devait présenter une plus faible teneur en alcool.
Par ailleurs, les méthodes de vinification pour les vins blancs et rouges étaient identiques : les raisins étaient foulés aux pieds et la peau et le mou étaient conservés.
Les romains n’hésitaient pas à couper leur breuvage avec de l’eau – qu’elle soit froide ou chaude – le vin pur étant considéré comme une pratique barbare. Une dose de vin pour deux doses d’eau leur permettait d’ailleurs de boire du vin dès le petit déjeuner.
L’eau des puits étant susceptible d’être contaminée, le vin agissait à cette époque comme un gouleyant antiseptique. Ces derniers ajoutaient également à l’issue de la fermentation, miel, herbes médicinales et épices.
Le vieillissement du vin était déjà un gage de prestige. Le cépage le plus célèbre de l’époque, très prisé de l’aristocratie romaine, le Falerne, un vin blanc très alcoolisé et oxydé, nécessitait 20 ans de fermentation.
Pour les romains, le vin restait la pièce centrale du repas. Une caractéristique qui contrastait avec les habitudes des grecs, pour qui le vin se prenait en dehors.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule différence notable avec leurs lointains cousins : contrairement aux grecs qui plaçaient le vin sous le patronage de Dionysos (Bacchus à Rome), les romains lui préféraient le roi des dieux, Jupiter (Zeus pour les grecs).
Cette caractéristique montre que l’ivresse décomplexée prônée par Bacchus avait particulièrement mauvaise presse. Si bien que jusqu’aux premières heures de l’Empire, la consommation du vin par les femmes, censée favoriser les cas d’adultères, était strictement réglementée.
Autant de pratiques qui remettent en cause le cliché de l’orgie romaine…
Enfin, le vin devint sous l’Empire, un breuvage démocratique, consommé indifféremment par les hommes et les femmes, les jeunes et les anciens, les riches et les pauvres.
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