Avec un Donald Trump prêtant serment ce 20 janvier 2025, la menace d’une annexion ou d’un rachat du Groenland par les Etats-Unis refait surface. Énième provocation de l’homme d’affaires de nouveau à la fonction suprême ou véritable ambition géostratégique dans la continuité de la politique américaine héritée de la Guerre Froide ? Toujours est-il que la plus grande île du monde relève en fait de la couronne danoise. On comprend alors que la “nécessité absolue” évoquée par Donald Trump de s’emparer de ce territoire – a priori inhospitalier au possible – laisse planer la menace d’un conflit impliquant l’OTAN, organisation dont sont membres les Etats-Unis – jusqu’à nouvel ordre – tout comme le Danemark.
Froid polaire et menaces réitérées
Comme une volonté d’étendre son “espace vital” ou plutôt son “Lebensraum”…
Le 7 janvier dernier, lors d’une conférence de presse sous les ors néo-mauresques de son hôtel et QG de Mar-a-Lago, Donald Trump a stupéfait la presse et la scène internationale. Ce jour-là, il n’a pas écarté de recourir à la force pour s’emparer du Groenland, une terre d’à peine 55 000 habitants que convoitent depuis longtemps les Etats-Unis.
Le 47e président de la première puissance économique mondiale a alors rappelé que “pour la sécurité nationale et la liberté à travers le monde, les Etats-Unis estiment que la propriété et le contrôle du Groenland” constituent “une nécessité absolue”.
La veille déjà, il déclarait sur son propre réseau social, Truth, “le Groenland est un endroit incroyable et ses habitants, s’ils deviennent et quand ils le deviendront, une partie de notre nation, en tireront un énorme bénéfice. MAKE GREENLAND GREAT AGAIN.”
Cette volonté d’achat du pays de la part des Etats-Unis a déjà été exprimée par trois fois avant d’être systématiquement retoquée, en 1867, 1910 et 1947. Donald Trump, lui-même, avait évoqué une première fois l’idée sous son premier mandat en tant que 45e président. Ce gout des Etats-Uni de s’agrandir par la voie transactionnelle ne sort pas de nulle part : pour récupérer la Louisiane à la France en 1803, l’Alaska à la Russie en 1867 et les îles vierges au Danemark en 1917.
Mi-janvier, Donald Trump aurait réitéré ses menaces, un comportement qui laisse présager qu’il n’entend pas abandonner cette ambition.
Un état constitutif du royaume de Danemark
Si le Groenland se situe bien en Amérique du Nord, il est depuis 1814, “un état constitutif du royaume de Danemark”, après avoir été longtemps une colonie de la Norvège. Suivant ce statut, le pays dispose de compétences spéciales en matière de fiscalité, d’économie, d’éducation et depuis 2009, de police et de justice.
De son côté, Copenhague conserve des prérogatives en matière de relations internationales, de défense et de sécurité. En vertu de son statut spécial, le Groenland perçoit chaque année l’équivalent de 500 millions d’euros de la part du royaume de Danemark. Un soutien financier qui serait remis en cause en cas d’annexion comme de déclaration d’indépendance du pays.
Autant dire que les propos de l’homme d’affaires-président ont suscité une vive réaction de la part de la scène politique danoise. La première ministre Mette Frederiksen s’est empressée de rappeler que le Groenland n’était “pas à vendre”. Une réaction que n’a pas manqué d’appuyer le premier ministre groenlandais Mute Egede, issu du peuple inuit et pourtant partisan de l’indépendance.
Signe de l’inquiétude que suscite les velléités de Donald Trump à l’égard du Groenland, le monarque danois, Frederik X, a révélé, le 1er janvier, un changement de ses armoiries, officiellement en raison de l’abdication il y a un an de sa mère Margrethe II, après un règne de 52 ans. Parmi les quatre parties qui composent le blason royal, les deux possessions du royaume de Danemark que sont le Groenland et les îles Féroé sont mises en valeur comme jamais. Le Groenland figure ainsi sous la forme d’un ours polaire.
Dans la mesure où le Danemark est membre du conseil de sécurité de l’OTAN, toute invasion militaire du Groenland, entrainerait par ricochet l’entrée en guerre des autres pays membres. L’article 5, en vertu duquel toute attaque dirigée contre l’un ou plusieurs de ses membres est considérée comme une attaque dirigée contre tous pourrait être enclenchée.
Sans compter qu’en tant qu’Etat membre de l’Union Européenne, le Danemark, pourrait également se prévaloir de l’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne. Selon cette “clause de défense mutuelle”, si un État membre fait l’objet d’une agression armée sur son territoire, “les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir”. Or, le Groenland peut également invoquer cette clause.
Un gisement de ressources rares
La veille de l’allocution polémique du prochain président sur la “nécessité absolue” de récupérer le pays cerné par les glaces, son fils Donald Trump Jr s’était rendu à Nuuk, la capitale du Groenland comptant plus de 18 000 âmes. Mais officiellement, si le Boeing 757-200 estampillé Trump s’est posé sur le sol gelé du tarmac de l’aéroport, c’était pour enregistrer un simple podcast.
Pourtant, si l’île hyperboréale qu’est le Groenland, grande comme quatre fois la France métropolitaine, attire autant les Etats-Unis, c’est déjà par sa dimension géostratégique.
En 1953, les américains ont en effet érigé une base aérienne au nord-ouest de l’île, à Qaanaaq (Thulé).
Mais c’est surtout la richesse de ses sous-sols qui attire les convoitises. En effet, ces derniers renfermeraient 13% de pétrole et 30% de gaz naturel encore non découverts.
Enfin, le Groenland apparaît particulièrement riche en terres rares comme le cobalt et le nickel. Autant de matières cruciales dans la fabrication de batteries de téléphones portables.
Les Etats-Unis, mais aussi la Chine et la Russie – désireux eux aussi de s’emparer de l’île – font le pari de l’ouverture de nouvelles routes commerciales dans une région qui se réchauffe deux fois plus vite qu’ailleurs à la surface du globe.
Pas un cas isolé
Le Groenland n’est qu’une des trois principales conquêtes territoriales envisagées par Donald Trump.
Dans le même ordre d’idée, le 47e président des Etats-Unis a évoqué son souhait d’annexer le Canada. L’administration de Justin Trudeau a alors exprimé une fin de non-recevoir mais sa levée de bouclier a également fragilisé son paysage politique.
Pour tenter de défendre coûte que coûte les intérêts canadiens, le premier ministre Justin Trudeau a tenté de créer un poste à part entière dévolue à son ex-vice -présidente, Chrystia Freeland, lui retirant du même coup son portefeuille liées aux finances.
Percevant cette spécialisation comme une rétrogradation, cette dernière a préféré démissionner du gouvernement, le 16 décembre. Mis en difficulté dans son propre parti, après neuf ans de pouvoir et sous pression devant la menace prise au sérieux d’un Canada devenu “51e Etat” par Donald Trump, Justin Trudeau n’a finalement eu d’autre choix que d’annoncer sa démission le 6 janvier.
Devant la menace d’une taxe Trump à l’encontre des exportations de produits canadiens, Ottawa s’est dit par ailleurs prêt à riposter avec des tarifs de rétorsion similaires.
Un tel conflit commercial entre les deux nations serait de nature à aggraver la situation économique du Canada. En effet, une analyse de la banque Scotia montre qu’une crispation des relations avec les Etats-Unis pourrait entraîner une baisse de plus de 5 % du PIB canadien, une montée significative du chômage ainsi qu’une inflation dépassant 4,1 %.
Mais l’appétit du Président-milliardaire ne s’arrête pas là. Il a aussi indiqué s’intéresser au canal de Panama, dont les infrastructures appartiennent à la Chine…
En récompense du soutien du Panama dans sa volonté d’indépendance vis-à-vis de la Colombie, les Etats-Unis ont conclu un traité selon lequel ils ont obtenu le monopole de la construction et de la gestion du canal ainsi que le droit d’en assurer la sécurité ainsi qu’une zone large de 10 miles autour du canal à perpétuité. Finalement par deux traités bilatéraux signés en 1977 par le président Jimmy Carter, les Etats-Unis ont rétrocédé la gestion du canal au Panama. Le pays d’Amérique centrale a vu son exploitation rendue le 31 décembre 1999. Un abandon jugé par Donald Trump comme une “terrible erreur” qui avait rappelé “c’était seulement au Panama de le gérer, pas à la Chine ou à qui que ce soit d’autre ».
Pourtant, le 7 janvier dernier, le ministre panaméen des Affaires étrangères, Javier Martinez-Acha a mis en garde Donald Trump : « Le président, José Raúl Mulino, a déjà déclaré que la souveraineté de notre canal n’était pas négociable ». Le ministre a insisté sur le fait que cet axe maritime stratégique était “une conquête irréversible”.
Lors de son discours d’investiture, le nouveau président des Etats-Unis s’est une nouvelle fois plaint des droits de péage auxquels les porte-conteneurs américains doivent s’acquitter pour traverser le canal et confirmé sa volonté de le récupérer. Devant ses menaces à peine voilée lors de son volet consacré aux « ennemis des Etats-Unis » et à « la trahison » du Panama, tout porte à croire que la Chine comme le Panama ne resteront pas de marbre.
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Photo à la Une : Jason Krieger/Unsplash