INTERVIEW Oriane Beaufils, conservatrice de la Villa Ephrussi de Rothschild

A l’occasion du grand Salon des antiquités, FAB Paris, du 22 au 27 novembre au Grand Palais – et pour lequel nous sommes partenaires – LUXUS MAGAZINE vous offre cette interview de Oriane Beaufils, conservatrice de la Villa Ephrussi de Rothschild, parue dans notre dernier numéro automne-hiver 2024.  FAB Paris sera en effet l’occasion de voir pour la première fois des oeuvres d’art rarissimes ayant appartenu à la Baronne et d’ordinaire jalousement conservées dans sa villa de bord de mer. Des places sont à gagner jusqu’au 15 novembre sur notre page Instagram !

 

Oriane Beaufils a travaillé pendant quatre ans pour les Maisons de ventes aux enchères Sotheby’s et Christie’s. Après huit ans au service de la conservation des peintures et grands décors de la Renaissance au Château de Fontainebleau, cette passionnée d’architecture a été nommée en février dernier conservatrice d’un des plus beaux lieux culturels de la côte d’Azur : la Villa Ephrussi de Rothschild, située à Saint-Jean-Cap-Ferrat.

 

La Villa Ephrussi de Rothschild exposera certaines de ses 5000 oeuvres lors de FAB Paris. Vous n’avez d’ailleurs plus que demain 15 novembre pour tenter de remporter vos places au Salon des antiquités FAB Paris via notre grand concours Instagram.

 

Cette interview est extraite du magazine papier Luxus Magazine N°9, automne-hiver 2024.

 

LUXUS MAGAZINE : Que représente pour vous cette nomination à la tête d’une si belle Maison, tant sur le plan architectural que culturel ?

Oriane Beaufils : Je suis historienne de la Renaissance et j’aime beaucoup l’architecture. J’ai toujours voulu travailler dans des lieux qui ne soient pas juste des musées mais  des lieux habités par les architectes, les commanditaires, ou les matériaux, que ce soit avec la pierre à Fontainebleau ou le ciment à la Villa Ephrussi. La Villa Ephrussi de Rothschild est un catalogue de formes architecturales de la Renaissance. Par sa façade méridionale, c’est un palais vénitien et par son entrée actuelle, une église dans le style gothique flamboyant de Normandie. C’est également une église florentine qui n’est pas sans rappeler certains palais fortifiés florentins.

 

Oriane Beaufils, conservatrice de la Villa Ephrussi de Rothschild © Villa Ephrussi de Rothschild

 

LUXUS MAGAZINE : En quoi cette nouvelle fonction diffère de vos précédentes expériences, même si l’on reste dans le domaine de la culture et de l’art ?

Oriane Beaufils : Cette nomination représente un tournant dans ma carrière. Après huit ans au château de Fontainebleau, j’avais envie d’un nouveau défi. La Villa Ephrussi de Rothschild a été reprise en 2023 par l’Académie des Beaux-Arts, le rapport entre le public et le privé a donc véritablement changé. Le  lieu qui fonctionne désormais intégralement pour le service public et c’est une mission en laquelle je crois et que je sers. Je suis très contente qu’il y ait pu y avoir ce changement de gouvernance. La Baronne de Rothschild a légué cette villa à l’Académie des Beaux-Arts en avril 1934, ce n’était que justice que cette dernière la reprenne directement en main. Cette nomination est d’abord un nouveau défi dans la mesure où ce lieu présente à la fois l’avantage et l’inconvénient de n’avoir jamais bénéficié d’une grande restauration, tant sur le plan architectural que pour ses collections. Devant le travail à accomplir, la tâche s’annonce complexe mais également formidable au vu de tous ces objets restés intacts et quasi vierges. À Fontainebleau, j’ai travaillé dans le château de tous les rois de France : 34 rois et 2 empereurs, pour être exact, s’y sont succédé. Ici, il n’y a qu’une seule personne, une femme, qui a tout décidé. J’aime bien l’idée de la cohérence d’un groupe.

 

LUXUS MAGAZINE : Comment définiriez-vous le Goût Rothschild, et quelle est sa place aujourd’hui au sein de la Villa Ephrussi et dans le design en général ?

Oriane Beaufils : La Villa Ephrussi et sa collection symbolisent le Goût Rothschild. À l’extérieur, la Villa Ephrussi affiche un style architectural sur chaque façade, ce qui est déjà très Rothschild dans l’esprit. Les Rothschild étaient des agents de change installés dans une rue du ghetto juif de Francfort : le voyage et donc la curiosité que l’on retrouve dans l’architecture de la bâtisse font partie de leur ethos. À l’intérieur, le Goût Rothschild, consiste en un éclectisme, un faste, une abondance d’objets, qui va avec l’idée de provenance importante. La Villa Ephrussi abrite ainsi un petit tableau qui représente le château de Fontainebleau, un fragment d’une copie de la Grande Singerie du château de Chantilly, une urne de Madame de Pompadour ou encore des cadeaux diplomatiques en porcelaine de Sèvres… Ce sont des objets qui ont voyagé, qui ont vécu, un peu comme ces messages ou ces monnaies que les Rothschild faisaient circuler au XIXe siècle, avant qu’ils ne se structurent véritablement comme des banquiers. La Villa, telle qu’elle se présente aujourd’hui, n’est plus forcément complètement représentative du groupe Rothschild, dans la mesure où beaucoup d’objets ont été mis en réserve ou ne sont plus exposés. Néanmoins, son potentiel de « re-rothschildisation » – soit exposer davantage d’objets dans les salles, de les associer les uns aux autres selon un regard de décorateur – s’avère très important. Il en va ainsi du français Eugène Lami, par exemple, qui a travaillé pour le château de Ferrières, comme pour le domaine de Chantilly entre autres. Il a mis en scène tous les objets dans ses édifices, tel un décor de théâtre. Au fil du temps, les différents Rothschild ont eux aussi sollicité des décorateurs. J’ai pour ma part tenté d’insuffler ce style et ce goût décorateur, en enrichissant la Villa mais aussi en m’entourant du regard d’experts et d’esthètes comme Jacques Garcia, afin de redonner ce faste d’antan aux intérieurs de la villa.

 

Villa Ephrussi de Rothschild, Juillet 2005 © C. Recoura/Villa Ephrussi de Rothschild

 

LUXUS MAGAZINE : Un autre défi mis en avant dans le communiqué de FAB Paris est d’ailleurs lié à l’idée de rejoindre une institution plus célèbre que les œuvres qu’elle abrite…

Oriane Beaufils : La Villa Ephrussi est le seul endroit en France où l’on peut voir la mer de tous les côtés. Le bleu céleste de la Manufacture de Sèvres rejoint l’azur du ciel et de la mer. Pour cela, beaucoup d’événements somptueux y ont été organisés. Mais la jolie robe peut parfois desservir la jolie dame : l’extérieur est tellement somptueux que parfois on ne s’attarde pas suffisamment sur les détails de certains objets. Mon rôle et mon objectif, c’est de faire connaître cette collection en tant que telle. C’est un palais de bord de mer mais c’est bien plus qu’un panorama sur la mer ou un lieu instagramable : chaque objet a un sens, une place et appartient véritablement à la grande histoire. Vous avez fait appel à Jacques Garcia en raison de son expertise du XVIIIe siècle.

 

LUXUS MAGAZINE : Quel message souhaitez-vous transmettre par votre sélection d’ œuvres présentées à FAB Paris ?

Oriane Beaufils : Jacques Garcia connaît très bien les Rothschild, il a beaucoup œuvré dans leurs résidences. Il a cet œil selon lequel « abondance de biens ne nuit pas ». Pour la FAB Paris, nous voulons faire revenir pour la première fois les collections de Béatrice de Rothschild à Paris, où elle avait son hôtel particulier. D’ailleurs, une partie des collections exposées à la Villa proviennent de son hôtel particulier parisien. Jacques Garcia, aussi bien dans les lieux comme le Domaine du Champ de Bataille ou pour le travail qu’il a mené au Département des Objets d’art du Louvre, a mis en scène les objets. Chacun est un acteur d’une grande pièce jouée par le goût. Pour FAB Paris, nous voulons mettre en scène une sorte de Villa Ephrussi miniature avec les objets représentatifs de la majesté du Goût Rothschild. Vous retrouverez ainsi des porcelaines de Sèvres ou de Meissen absolument magnifiques, certaines pièces de mobilier extraordinaires comme la commode de Joseph Baumhauer dans cette laque camomille. Mais aussi des objets beaucoup plus étonnants, moins immédiatement identifiables. Il y a cette idée de générer la surprise, d’étonner le visiteur. Quand on entre dans la Villa, on découvre cette vue et on est surpris. Je veux qu’on soit saisi par les collections comme on est saisi par le lieu.

 

LUXUS MAGAZINE : Comment le Goût Rothschild, avec cet éclectisme de décorations à travers les époques et sa dominance du XVIIIe siècle, se manifeste-t-il à la Villa Ephrussi ? Peut-on également le retrouver en dehors de la Villa ?

Oriane Beaufils : Pendant le XXe siècle, il y a eu un goût prononcé pour le minimalisme, se manifestant par des décorations épurées, des couleurs plus sobres, sans doute à partir du mouvement Art Déco. Pour autant, le Goût Rothschild ne s’est jamais perdu. Dans l’art florentin, une sorte de veine exubérante apparait au début du XVe siècle et dure jusqu’au XVIIe siècle, comme un fil rouge entre les différents artistes. De la même manière, il y a des représentants du Goût Rothschild tout au long du XXe siècle, du XXIe siècle et qui perdure encore aujourd’hui. C’est ainsi qu’on retrouve dans les aquarelles d’Eugène Lami pour le château de Ferrière, comme dans les appartements de l’hôtel Lambert, cette accumulation d’objets, cette abondance, ce mélange des styles, avec comme valeur maîtresse, le confort. Le Goût Rothschild, c’est aussi l’art d’être chez soi et d’y prendre plaisir. Cette notion est très importante pour la famille. On le voit d’ailleurs dans la manière dont ils se représentent, quand on regarde les magazines Connaissance des Arts des années 60, les interviews de Marie-Hélène de Rothschild, de Nadine de Rothschild et de Liliane de Rothschild. Je pense qu’aujourd’hui, un goût renouvelé pour la décoration est en train de naître. De nombreux jeunes marchands d’objets d’art et décorateurs ne travaillent plus exclusivement en galerie, mais utilisent également les réseaux sociaux. Cela reflète un plaisir accru pour l’esthétique des objets et la surprise visuelle qu’ils procurent. Nous observons ainsi un retour de l’objet, ainsi qu’un regain d’intérêt pour certaines activités manuelles, comme la tapisserie et la broderie. Nous relevons également que la manufacture des Gobelins réalise aujourd’hui des tombées de métiers assez novatrices. Par exemple, une tapisserie entière a été produite à Aubusson sur le thème de J.R.R Tolkien. Il y a donc un important retour des métiers d’art, auquel le public est très sensible. Ce patrimoine immatériel est inestimable, surtout en France. Ainsi, le goût Rothschild revient en même temps que le goût pour les belles matières. On pourrait dire, de manière un peu provocatrice, que tout le monde en a assez du Made in China, sauf quand il s’agit de la période Ming.

 

LUXUS MAGAZINE : Comment est née l’idée de votre participation au Salon FAB Paris et qu’est-ce qui vous a particulièrement attiré dans cette opportunité ?

Oriane Beaufils : Le Salon nomme chaque année un invité d’honneur. J’ai tout de suite vu une grande opportunité pour la Villa Ephrussi de Rothschild dans la mesure où il s’agit d’un lieu en train d’amorcer une véritable renaissance avec une très belle collection, fort méconnue. La Baronne était aussi une grande collectionneuse, amie avec tous les marchands, dont certains existent encore. Elle appartenait au monde des Salons comme la Biennale des Antiquaires et allait à la Galerie Georges Petit qui est, d’une certaine manière, le FAB des années 1910-1920. J’aime beaucoup l’esprit de FAB Paris et j’ai trouvé que ça fonctionnait merveilleusement bien avec la Villa Ephrussi de Rothschild. Dès que j’ai su que j’étais nommée à la Villa, j’ai pris contact avec FAB Paris et demandé s’ils étaient intéressés par la Villa Ephrussi comme invité en 2024. Et miracle, ils nous ont dit oui !

 

LUXUS MAGAZINE : Quelles sont les préparatifs en cours à la Villa Ephrussi pour l’année 2025 ?

Oriane Beaufils : Depuis le 15 juillet, la Villa Ephrussi propose des nocturnes deux soirs par semaine, le lundi et le mardi. Ces soirées incluent des spectacles, des projections mapping, ainsi qu’une programmation musicale et artistique avec des danseurs contemporains et des chanteurs. Toute la programmation se trouve très facilement en ligne. Nous avons également sorti le premier guide des collections de la Villa. C’est une première publication qui présente une grande introduction de l’histoire de ce site et des Rothschild ainsi qu’une cinquantaine d’objets. Enfin, depuis la mi-août, une petite exposition est présentée à l’étage de la Villa. Elle met en lumière sa naissance architecturale, en appuyant sur des plans d’archives, de nombreux bleus d’architectes et des calques illustrant la genèse architecturale.

 

LUXUS MAGAZINE : Vous évoquez une dimension internationale. Y a-t-il un objectif de faire voyager certaines œuvres, par exemple, outre-Atlantique ?

Oriane Beaufils : Des océans, des mers, des montagnes… Les œuvres de la Villa Ephrussi de Rothschild peuvent voyager, à l’instar de la Baronne elle-même. La Villa s’appelle Île-de-France probablement en hommage au célèbre paquebot. Ainsi, il est envisagé de faire voyager les collections, notamment lorsque des travaux de rénovation seront entrepris à la Villa Ephrussi. Tout n’est pas encore complètement abouti, ce sont des projets. Dès que nous en saurons davantage, nous vous le dirons !

 

Loggia de la Villa Ephrussi de Rothschild © Sophie Lloyd/Villa Ephrussi de Rothschild

 

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Photo à la Une : © Villa Ephrussi de Rothschild

Victor Gosselin is a journalist specializing in luxury, HR, tech, retail, and editorial consulting. A graduate of EIML Paris, he has been working in the luxury industry for 9 years. Fond of fashion, Asia, history, and long format, this ex-Welcome To The Jungle and Time To Disrupt likes to analyze the news from a sociological and cultural angle.

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