La Compagnie financière Richemont (CFR), plus communément appelée Richemont, est aujourd’hui le deuxième groupe mondial de luxe en matière de chiffre d’affaires, juste derrière le géant LVMH. Huitième capitalisation boursière sur le Swiss Market Index, l’histoire de Richemont avait pourtant commencé par des plantes de tabac…
Anton Rupert est né en 1916 à Graaff-Reinet, en Afrique du Sud. À l’origine, rien n’indique qu’il fera un jour carrière dans les affaires. Le jeune Afrikaner se rêve médecin, vocation qu’il sera forcé d’abandonner, n’ayant pas assez d’argent pour financer ses études. Il se tourne alors vers les sciences et obtient un diplôme en chimie à l’Université de Pretoria en 1939.
Tandis que la Grande Dépression frappe de plein fouet le monde occidental, Anton Rupert fait un constat étonnant sur la situation. Malgré une crise économique sans précédent, la population continue de consommer du tabac et de l’alcool en grande quantité. L’histoire raconte qu’il aurait ensuite commencé à fabriquer des cigarettes dans son garage, à partir de 1941.
Avec seulement 10 livres sterling et le soutien financier de deux investisseurs, il fonde l’entreprise de tabac Voorbrand. Dès 1948, la marque est renommée Rembrandt, et s’étend à d’autres secteurs comme les vins et les spiritueux, l’alimentaire, l’exploitation minière ou encore les services bancaires.
Anton Rupert prendra une participation majoritaire dans le fabricant de tabac britannique Rothmans International en 1954 et y ajoutera les intérêts étrangers de Rembrandt dès 1972. Par la suite, Rothmans International sera propulsé à la quatrième place des plus grands cigarettiers du monde.
Mais comment le groupe Richemont, qui n’était alors qu’une compagnie de tabac baptisée Rembrandt, a-t-il réussi à s’imposer dans le monde du luxe ? Pour comprendre cela, il faut voyager jusqu’à Paris. En 1959, Robert Hocq y fonde Silver Match, qui deviendra un leader dans la fabrication de briquet. Tout bascule en 1968, lors de la conception d’un briquet en or massif. Robert Hocq, désireux d’obtenir une licence de Cartier, contacte la maison.
Aidé par son conseiller financier Joseph Kanoui, le fabricant de briquet parvient à convaincre Cartier. Les activités de la marque se portant bien, Robert Hocq remarque son potentiel et recherche une opportunité de rachat auprès d’investisseurs. Une offre retiendra son attention : celle d’Anton Rupert, qui propose 20% dans Cartier Amérique contre une licence l’autorisant à produire des cigarettes Cartier, ce qui lui permettait de les vendre un centime plus cher.
En 1979, Robert Hocq meurt, renversé par une voiture à Paris. Anton Rupert prend alors une participation majoritaire dans Cartier, qui n’est plus divisée en trois sociétés (France, Grande-Bretagne et États-Unis), mais unifiée en Cartier Monde. En 1988, la maison Cartier agrandit son portefeuille avec les maisons d’horlogerie suisses Piaget et Baume & Mercier.
Mais l’entreprise Rembrandt traverse des jours difficiles. Alors que le régime de l’apartheid commence à s’éteindre en Afrique du Sud, ses activités risquent le boycott face à une nationalisation massive. Bien qu’il soit proche de Nelson Mandela et qu’il ait milité pour la fin de la ségrégation dans le pays, Anton Rupert cherche avant tout à protéger son entreprise.
Son fils Johann Rupert, financier chez Lazard à New York, entre alors en scène. Il va lui soumettre une idée : diviser le groupe Rembrandt en deux entités. Il conserverait ses intérêts sud-africains dans la première et la seconde, une nouvelle société de participation destinée à ses actifs internationaux s’installerait en Suisse. C’est ainsi qu’est née, le 16 août 1988, la Compagnie financière Richemont (CFR), cotée à la bourse suisse et à celle de Johannesburg dès le mois suivant.
À ce moment-là, l’entreprise regroupe cinq secteurs d’activité : tabac, luxe, services financiers, ressources naturelles et biens de consommation. Par la suite, elle se tournera vers la télévision et mettra fin à ses activités dans le secteur des biens de consommation. Le luxe et le tabac, qui sont les principales sources de revenus du groupe, fragmentent l’entité en deux parties distinctes. La vente de tabac représente alors 68,2% de son chiffre d’affaires.
Mais ce sont ses activités dans le luxe, regroupées sous le groupe Vendôme en 1993, qui vont permettre au groupe Richemont de s’imposer rapidement. La marque Cartier façonne le paysage horloger suisse, bien qu’elle ne soit, pour l’heure, qu’un groupe de management de marques. À cette période, Cartier contribue à la transformation de la communication dans le luxe en proposant pour la première fois de créer des histoires autour des produits afin de les mythifier.
Les nombreuses politiques anti-tabac menées aux États-Unis et dans une partie de l’Europe à partir des années 1990 vont pousser Richemont à céder Rothmans International au groupe British American Tobacco (BAT) en 1999 contre 23,3% des parts de l’entreprise. Richemont en profite pour regrouper ses activités télévisuelles avec le groupe Canal+, dans lequel il détient alors 15%. Il troquera rapidement ses parts contre une participation de 2,9% dans le spécialiste des médias Vivendi.
À l’aube de l’an 2000, Richemont décide de fusionner le groupe Vendôme avec le reste de la Compagnie financière Richemont. Cette mesure est motivée par le rachat de plusieurs marques de luxe dont Lancel, Vacheron Constantin, Shanghai Tang, Purdey, Seeger et Sulka. En 1999, il acquiert 60% du joaillier français Van Cleef & Arpels.
La même année, le groupe LVMH se présente comme le principal rival de Richemont, avec l’acquisition de Chaumet, Zenith, TAG Heuer et Elbel. Concernant le marché de l’horlogerie de luxe, Richemont surveille de près le Swatch Group, qui se démarque par le rachat de Breguet, Glasshütte Original et Jacquet Droz.
Le début des années 2000 se place sous le signe des acquisitions pour Richemont. Le groupe négocie un financement pour le rachat du groupe horloger LMH (dont IWC, Jaeger-LeCoultre, A. Lange & Söhne), contrat qu’il réussit à obtenir aux dépens du groupe LVMH en faisant une meilleure proposition que son rival.
Anton Rupert meurt en 2006, à l’âge de 86 ans. Durant les années suivantes, Richemont parvient à sortir l’entreprise presque intacte de la crise financière de 2008, mais subit plus durement la lutte anti-corruption lancée par la Chine en 2012 – les montres suisses étaient alors utilisées pour soudoyer les hauts fonctionnaires du Parti communiste chinois – ainsi que la crise du franc de 2015.
Aujourd’hui, si Richemont s’impose comme le deuxième groupe mondial de luxe en matière de chiffre d’affaires, plusieurs obstacles continuent de se dresser sur sa route. La crise politique à Hong Kong et la pandémie de Covid-19 ont fragilisé le groupe genevois, qui compte désormais 24 sociétés. De plus, l’acquisition du joaillier américain Tiffany par LVMH au début de l’année, creuse encore l’écart entre la CFR et le leader du luxe. Reste à savoir quelles surprises Richemont, né de la vente de tabac, nous réserve pour 2022…
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Photo à la Une : © Maison De Greef