La réélection triomphale de Vladimir Poutine à la tête de la Russie soulève des interrogations quant à une possible dérive vers un régime tsariste. Réélu pour un cinquième mandat, Poutine cherche à renforcer son emprise sur la scène internationale. Malgré les critiques occidentales et les contestations internes, le président russe persiste dans sa volonté de mettre fin à l’hégémonie occidentale, accentuant ainsi les tensions géopolitiques.
Le résultat était prévisible et indiscutable. À l’issue des élections russes qui se sont achevées le 17 mars dernier, Vladimir Poutine a été réélu avec un score impressionnant de 87,28 % des voix.
Le président russe, qui a fait réviser la Constitution en 2020 afin de prolonger son mandat présidentiel jusqu’en 2036, a déjà exercé quatre mandats, dont deux de quatre ans et deux de six ans, avec un intermède en tant que Premier ministre entre 2008 et 2012. À 71 ans et au pouvoir depuis 25 ans, il entame ainsi un 5e mandat.
Les autres candidats n’ont guère contesté la ligne officielle. Boris Nadejdine, favorable à la fin de la guerre en Ukraine, a été éliminé de l’élection, tout comme Ekaterina Duntsova, qui prônait la cessation de « l’opération militaire spéciale » et une décentralisation du pouvoir. Quant à l’opposant principal, Alexeï Navalny, il est décédé de manière mystérieuse un mois avant le scrutin.
Fraîchement élu, Vladimir Poutine a déclaré que la Russie ne se laisserait pas intimider par toute forme d’opposition. « Peu importe qui veut nous intimider ou à quel point, peu importe qui veut nous écraser ou à quel point, notre volonté ou notre conscience. Personne n’a jamais réussi à faire quelque chose de semblable dans l’histoire. Cela n’a pas fonctionné aujourd’hui et ne fonctionnera pas à l’avenir », a-t-il affirmé devant son équipe de campagne enthousiaste.
Le président s’est ensuite rendu lundi 18 mars sur la place Rouge, à Moscou, face à une foule en liesse. Présent pour un concert célébrant les dix ans de l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine était accompagné de ses adversaires présidentiels. Tous ont entonné l’hymne national russe avec la foule, avant que Vladimir Poutine ne célèbre le « retour à la patrie » des territoires ukrainiens que Moscou a annexés. Une provocation de plus aux habitants d’un pays à feu et à sang.
L’Occident dénonce, les alliés de Poutine le félicitent
À l’issue de ces résultats, les réactions des dirigeants internationaux ont été mitigées. L’Occident dénonce un simulacre de démocratie. Le Quai d’Orsay, dans un communiqué publié lundi 18 mars, a estimé que « les conditions d’une élection libre n’ont pas été réunies », tandis que David Cameron, ministre des Affaires étrangères britannique, a dénoncé « la tenue illégale d’élections sur le territoire ukrainien, [le] manque de choix pour les électeurs et l’absence de surveillance indépendante de l’OSCE ».
L’Allemagne a regretté, par la voix d’Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères, « une élection sans choix » montrant « l’action infâme de Poutine contre son propre peuple ». Antonio Tajani, ministre des Affaires étrangères italiennes, a déclaré : « Les élections en Russie n’ont été ni libres ni régulières ».
Même les instances internationales s’en sont mêlées. La tenue d’élections dans les territoires occupés et annexés par la Russie a été dénoncée par Stéphane Dujarric, porte-parole de l’ONU. Il a rappelé qu’une déclaration commune, signée par plus de cinquante pays (États-Unis, France, Royaume-Uni, Japon, Australie, Corée du Sud …), « condamne dans les termes les plus forts » la tenue des élections dans ces territoires. Josep Borell, le haut-représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a réagi en déclarant que l’élection russe « n’a pas été un scrutin libre et juste », car elle se fonde « sur la répression et l’intimidation ».
Quant à Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, il a publié un message sur les réseaux sociaux affirmant qu’il « est clair pour tout le monde que ce personnage, comme cela s’est produit si souvent dans l’histoire, est tout simplement ivre de pouvoir et fait tout ce qu’il peut pour régner éternellement ».
Plusieurs dirigeants d’Amérique Latine ont cependant félicité Vladimir Poutine pour sa réélection, comme la présidente du Honduras, Xiomara Castro, ou Luis Arce, le président bolivien. La Chine, devenue la principale alliée de la Russie, a « exprimé ses félicitations » et se dit « convaincue que, sous la direction stratégique du président Xi Jinping et du président Poutine, les relations entre la Chine et la Russie continueront à progresser ».
Les dirigeants des dictatures cubaine, nicaraguayenne et vénézuélienne ont également adressé leurs félicitations et leurs vœux au président russe. Enfin, comme l’Iran, Kim Jong-Un, le leader nord-coréen a salué Vladimir Poutine pour sa solide victoire.
Glissement de la violence
Depuis que Moscou a lancé en février 2022 la guerre en Ukraine, les relations entre la Russie et l’Occident ont atteint un niveau sans précédent depuis la crise des missiles cubains en 1962. Après les propos du président français Emmanuel Macron, affirmant ne pas exclure la possibilité d’envoyer des troupes au sol en Ukraine et sur le risque d’un conflit avec l’Otan, Vladimir Poutine a ironiquement répondu : « Tout est possible dans le monde moderne ».
« Il est clair pour tout le monde qu’un (conflit entre la Russie et l’Otan) marquerait l’ultime étape avant une Troisième Guerre mondiale. Je pense que pratiquement personne ne veut de cela », a-t-il déclaré après avoir remporté l’élection présidentielle russe.
Emmanuel Macron, qui a affirmé ne pas vouloir d’escalade, a appelé la semaine dernière les Occidentaux à un « sursaut », prévenant qu’une victoire russe en Ukraine constituerait une « menace existentielle » pour l’Europe.
Vladimir Poutine invitait toutefois son homologue français à jouer un rôle pour la paix. « Tout n’est pas encore perdu », a-t-il déclaré. « Je l’ai dit encore et encore, et je vais le répéter : nous sommes en faveur de discussions de paix, et pas seulement parce que l’ennemi arrive à court de munitions ».
Peu importent les sanctions occidentales, peu importe les poursuites de la Cour pénale internationale à l’encontre de Vladimir Poutine, peu importent les pertes subies par l’armée. Le président russe s’est fixé une mission : mettre fin à l’hégémonie occidentale.
Les quatre guerres de Poutine
Le maitre du Kremlin, traumatisé par le démembrement de l’ex URSS, a de quoi poursuivre son rôle de chef de guerre dans le but de rebâtir un empire dans la lignée de Pierre le Grand. En octobre 2023, dans une interview exclusive de Volodymyr Zelenski pour France TV, le président ukrainien mettait en garde les occidentaux : en cas de victoire de la Russie, Poutine ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. Dans plusieurs années, ce pourrait être la Moldavie, qui n’est pas aujourd’hui membre de l’OTAN.
C’est l’ombre de la conférence de Munich (1938) qui refait surface pour l’Europe et l’OTAN et la fameuse pique que Winston Churchill à Neuville Chamberlain. « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre ; Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre », avait déclaré le Premier ministre anglais.
Sergueï Medvedev, historien spécialiste de la période post-soviétique, livrait une analyse de la Russie en 2020, notamment à travers son dernier ouvrage, « Les quatre guerres de Poutine, ce que la Russie nous prépare ».
Selon lui, Vladimir Poutine a lancé une guerre territoriale, une guerre pour les symboles, mais aussi pour le corps et pour la mémoire. D’abord territoriale car de cette vision découle le conflit avec l’Ukraine, l’annexion de la Crimée, l’occupation du Donbass, les projets de développement de l’Arctique, les interventions militaires russes dans des régions éloignées telles que la Syrie ou la Libye, ainsi que les tentatives de contrôle de l’espace post-soviétique, qui deviennent de plus en plus difficiles. Ensuite, une guerre des symboles, dont le plus grand est pour lui, la victoire de la Seconde Guerre mondiale et la domination de l’URSS sur une partie de l’Europe qui en a résulté.
Une guerre pour contrôler les corps des citoyens (contrôle de la natalité, lutte contre les LGBT…), Vladimir Poutine cherchant à étendre le concept de souveraineté à ces derniers. Et enfin une guerre pour la mémoire car le pouvoir s’efforce de créer un mythe historique selon lequel la Russie a toujours été dans le camp des vainqueurs et selon lequel l’État a toujours été plus important que l’individu.
Malgré sa puissance, Poutine doit faire face à de nombreux défis. La guerre en Ukraine est loin d’être remportée et l’aptitude de la population russe, des élites et de l’économie à soutenir ce conflit sur le long terme demeure incertaine.
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