Plamen Roussev ou Itinéraire d’un enfant gâté : du musicien saltimbanque à l’homme d’affaires accompli

Plamen Roussev, le jeune violoniste bulgare passé à l’Ouest, s’est constitué un « petit monopoly personnel » en France. Il a ouvert les premières franchises Alain Manoukian, Daniel Hechter, Lacoste… Il raconte son histoire dans « Le violon de ma liberté ». Rencontre pétillante et joyeuse dans son appartement parisien.

 

La fidèle employée de maison de Plamen Roussev nous annonce que « Monsieur aura un peu de retard » , au 4ème étage d’un immeuble bourgeois du 8ème arrondissement à Paris. Nous en profitons pour admirer les œuvres d’art de ce sympathique appartement : des tableaux de Buffet, Delaunay, une sculpture de Modigliani… et un violon amoureux d’un saxophone. Tout ici respire la culture, la gaieté, les souvenirs. C’est l’exact opposé d’une résidence de « nouveau riche » dont la décoration aurait été confiée à un architecte d’intérieur. Plamen Roussev est un amoureux des arts ; il adore chiner chez les antiquaires et il a un goût sûr. Il aime acquérir des lieux d’exception, les transformer en y ajoutant sa touche personnelle. À l’aube de ses 80 ans, c’est son passe-temps favori.

 

S’échapper à l’Ouest

 

Passé clandestinement à l’Ouest un soir de 1969, le jeune violoniste bulgare a eu un fabuleux destin.

 

Lorsqu’il arrive en France, il a 27 ans – un âge déjà « avancé » – et n’a pas un sou en poche. Ambitieux et tenace, il sort rapidement de la pauvreté et réussit dans les affaires. Les portes de Gold Gotha s’ouvrent à lui. Il fréquente « les bonnes personnes », prend des risques dans les domaines du sport et de la mode.

 

Véritable personnage de roman, Plamen raconte son parcours dans Le violon de ma liberté, publié en novembre 2021 aux éditions Nouveau Monde. « Il me fallait laisser ce témoignage à mes deux filles et mon fils ; les biens matériels ne sont pas le principal héritage d’une vie ! » , s’exclame-t-il dans un parfait français mâtiné d’un léger accent chantant.

 

Mais revenons à sa jeunesse en Bulgarie. C’est l’itinéraire d’un enfant gâté. Mort du roi Boris III : sa famille est mise à l’amende, considérée comme « ennemie du peuple ». Son grand-père est exécuté en 1944. Après plusieurs années au sein de l’orchestre symphonique des jeunes communistes bulgares, Plamen troque le violon pour le saxophone. Au grand désespoir de son père qui rêvait qu’il devienne un violoniste de concert. Rapidement, il joue dans des clubs de jazz et décroche des contrats dans la Yougoslavie de Tito. Il y découvre la dolce vita à l’occidentale. Mais Ilia, le bassiste de son groupe, s’échappe pour rejoindre Michelle, la française dont il est amoureux. Plamen n’a alors d’autre alternative que de fuir avant que le KGB l’interroge et lui confisque sa liberté. Sa très « chère » liberté.

 

La musique, langue universelle

 

Arrivé clandestinement en France, le jeune exilé parle à peine la langue. Son avenir aurait pu être bien sombre. Michelle et ses parents l’aident à faire ses premiers pas. Une nouvelle famille providentielle pour lui ! Maurice, le père, était photographe. « C’étaient des Français d’origine modeste, mais très généreux et gentils. À mon arrivée, j’ai d’abord dormi sur un lit de camp au milieu des décors de mariage du studio » .

 

À une sorte de « bourse » de musiciens, Plamen rencontre des chefs d’orchestre qui le font travailler. « Je parlais cette langue universelle qu’est la musique. C’est elle qui m’a offert la liberté » . La musique n’est-elle pas le meilleur des passeports ? Ses cachets le remplissent de fierté, mais ils ne suffisent pas, loin de là, pour obtenir son permis de séjour. Maurice lui trouve un emploi d’ouvrier dans un entrepôt BP de Gennevilliers. Il lui prête un cabanon à Herblay. Un jour sa porte est enfoncée, son saxo et son violon sont volés.

 

Un monde de Happy Few

 

La roue tourne. Plamen obtient son titre de séjour et loue une chambre de bonne, au 63 avenue Niel, dans la plaine Monceau. Déjà le goût des beaux quartiers ! Mais il vit sous les toits, sans chauffage, sans robinet sur le palier. De son taudis, il en fait un petit bijou. Les murs sont recouverts de tissus achetés au marché Saint-Pierre. C’est l’envolée lyrique des matières et des couleurs.

 

Plamen découvre le système de la « reprise justifiée » grâce à ses travaux d’embellissement. Il cède sa chambre et, avec la somme rondelette versée par le nouvel occupant, il réinvestit aussitôt dans un nouveau chez-soi. Quelques mois plus tard, il refait la même opération. Puis une autre et encore une autre … Il est sauvé de la misère et s’installe agréablement rue de l’Assomption dans le XVIème arrondissement.

 

Le saltimbanque vit de sa musique, fait des rencontres qui le propulsent vers un monde de Happy Few. Il en apprend vite les codes. De Saint-Tropez à Courchevel. Sa carrière musicale évolue. Il quitte le Théâtre des Champs-Elysées pour jouer chez Régine, la boîte jet-set de l’époque. Il s’y fait des relations décisives pour la suite de son existence.

 

Mais il continue à déployer des efforts d’imagination pour compenser ses modestes moyens. Il adore les brocantes. « Je rachetais pour presque rien des objets aux enchères à Drouot, des meubles aux puces de Saint-Ouen. Je dois reconnaître que je négociais bien avec les vendeurs ! »

 

Un sens inné des affaires

 

Le musicien semble avoir plus d’une corde… à son violon. Il est doté d’un sens inné des affaires. Une chance pour un artiste ! Le cerveau droit et le cerveau gauche fonctionnent de concert. Plamen n’est pas déconnecté des réalités matérielles de l’existence. Bien au contraire.

 

Une affiche, un numéro de téléphone. Son intuition le guide : il vise l’achat d’un local de 12 m² dans la future galerie marchande de la Tour Montparnasse. C’est le dernier lot disponible. Aucune banque ne veut lui prêter les 11 000 francs de l’époque. Mais une banquière de la BPCE est hypnotisée par le personnage. Elle lui dit : « Vous ressemblez à un cheval sauvage » . Cinq minutes plus tard, il est sur le trottoir, le prêt signé dans la poche.

 

Au départ « Coin Moto », la boutique se transforme en un magasin d’articles de sport. Tous les signaux sont au vert. Roussev Sport pousse les murs, acquiert de nouveaux locaux et occupe jusqu’à 2 000 m². « J’ai été le premier à proposer des raquettes de tennis par correspondance », s’amuse-t-il à souligner. Il importe également des skateboards qui se vendent comme des petits pains.

 

L’engouement des Français pour le sport ne fait que commencer. Surfant sur les nouvelles tendances, il ouvre le plus grand club de squash de Paris, au pied de la Tour Montparnasse où le peintre Zao Wou-Ki vient jouer en voisin. Revers de la médaille : le succès l’oblige à abandonner sa chère musique. D’autant qu’il se marie avec Florence (dont il a rencontré la maman chez Régine) et devient le papa de trois enfants.

 

Une soixantaine de boutiques franchisées

 

Son « petit Monopoly personnel » se développe avec l’ouverture de franchises dans le domaine de la mode et des repas sur le pouce. Alain Manoukian, Daniel Hechter, Lacoste, Pomme de Pain, Haagen Dazs… « J’ai racheté les murs de la boîte Via Brasil et installé une boutique Lacoste bien que Bernard Lacoste trouvait que Montparnasse n’était pas assez chic. En fait, cela a cartonné ! » . Au total, le virtuose des affaires aura créé, dirigé, fermé, vendu, racheté, revendu plus d’une soixantaine de boutiques.

 

Les années 70, une époque plus facile pour réussir dans les affaires ? « Non, chaque décennie a ses opportunités. Aujourd’hui, si je démarrais à zéro, je me lancerai dans le business sur Internet, assure Plamen. Mais le monde virtuel a ses limites. On ne peut réussir sans rencontrer les gens. Je viens de dédicacer mon livre à mon banquier. Il est ravi » . Son banquier, on l’a compris, il en a toujours besoin pour entreprendre. Car ce séducteur dans l’âme n’a aucune intention de prendre sa retraite.

 

Le livre de Plamen est truffé d’anecdotes, facile à lire, bourré de leçons d’optimisme. « Je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Mais ma mère m’a donné sa tendresse, son amour. Mon père m’a inculqué l’obstination, l’acharnement au travail. Il a avalé des bouquins de médecine, le soir, sous une soupente froide pour sortir de la misère. Je n’ai pas vu ma famille pendant 15 ans avant de les faire venir en France. Cela a été une dure épreuve » .

 

L’histoire de ce violoniste sans toit fixe devenu un homme d’affaires accompli est digne des sagas des films de Claude Lelouch. On ne peut s’empêcher de penser à Itinéraire d’un enfant gâté  joué par notre regretté Jean-Paul Belmondo. Ce n’est pas tout à fait un hasard si Plamen a un petit rôle dans le dernier film du réalisateur L’amour c’est mieux que la vie qui sortira sur nos écrans en janvier prochain. Mais quel rôle peut-il bien jouer ? Surprise…

 

 

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Photo à la Une : © Getty Images

Corine Moriou was a senior reporter for the L'Express group for 15 years. Today, she works as a freelance journalist in the fields of culture, well-being and escape. Never blasé, always ready!

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