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Bollywood : aux sources du star system indien

Bollywood : aux sources du star system indien

Le sous-continent indien n’est pas seulement l’État le plus peuplé (1,4 milliards d’âmes), il abrite également la plus grande industrie cinématographique du monde, attirant un public fervent dans le pays et au-delà : celui des films Bollywood.

 

Après le Louvre d’Abu Dhabi, “Bollywood Superstar” s’expose jusqu’au 14 janvier 2024 à Paris, au musée du Quai Branly avec plus de 200 oeuvres, affiches, extraits de films et costumes de scène, le tout dans une scénographie chamarrée et luminescente, digne des contes des 1001 nuits. Le parfait remède au blues hivernal.

 

Le Cinéma Indien puise sa source dans le théâtre d’ombres, les lanternes magiques et les conteurs mythologiques millénaires.

 

Film Devdas, 2002 © Warner Bros Pictures/Mega Bollywood

 

Figurant parmi les premiers à découvrir le cinématographe des frères Lumières, les indiens ont depuis développé une activité en pleine croissance autour de la production de films savamment interprétés et chorégraphiés.

 

Au point de surpasser la production hollywoodienne, à raison de 2000  films chaque année. Des productions qui parviennent à s’exporter bien au-delà des frontières du sous-continent, que ce soit via la diaspora indienne – parmi l’une des plus grandes du monde –  l’Asie du sud-est ou les royaumes rigoristes du Moyen-Orient.

 

Pourtant, ce cinéma reste très largement incompris en occident, Bollywood étant à tort assimilé à l’ensemble des productions indiennes. Or, ce cinéma en provenance de l’ancienne Bombay (aujourd’hui Mumbai) concerne exclusivement des films tournés en hindoustani (mélange entre ourdou et hindi). Chacune des 14 régions de distribution possède en effet son propre cinéma avec ses spécificités linguistiques. Une segmentation culturelle et géographique avec une trentaine de langues officielles qui fait de l’Inde une contrée difficilement pénétrable pour tout occidental.

 

Des origines mystiques

 

Si l’Inde est aussi passionnée de cinéma, c’est d’abord parce que le pays est l’un des premiers à avoir accueilli le cinématographe des frères Lumières.

En effet, alors que la première projection du fameux duo d’inventeurs a eu lieu le 28 décembre 1895 dans le salon indien du Café de Paris, leur assistant Marius Sestier a organisé l’année suivante une projection de six de leurs  films au Watson’s Hotel de Bombay (Mumbai depuis 1996).

 

Les indiens se montrent particulièrement réceptifs à cette innovation. Véritable fenêtre sur le monde, le cinématographe présente une continuité certaine avec leurs propres traditions en matière de spectacles vivants, et autres conteurs itinérants.

 

Parce qu’il permet de voir “les dieux en mouvement”, le cinéma (chalachitra) s’inscrit ainsi en droite lignée avec les récits millénaires du Mahabharata et du Ramayana. Écrits au IVe siècle, ils content les multiples péripéties et exploits des avatars (du sanscrit avatara “descente”) du dieu suprême Vishnou, sous la forme de Rama et de Krishna, venus sur terre pour restaurer l’ordre divin menacé par les démons.

 

Ces deux récits incluent trois grands thèmes indissociables des films historiques de Bollywood, à savoir batailles fantastiques, romantisme et spiritualité.

 

Les divinités présentes ne sont pas sans rappeler les stars de Bollywood élevées au rang de demi-dieu.

 

Ces histoires légendaires seront d’ailleurs les premières sources d’inspiration du cinéma muet indien dans les années 1920, avant d’être détrônées par une autre source de fierté de l’histoire du pays : les glorieuses et somptueuses cours moghols puis rajputs.

 

L’empire musulman moghol (1526-1707) – qui a donné naissance à  la construction du Taj Mahal – marque un age d’or de prospérité, de tolérance religieuse et d’épanouissement des arts.  Il connaît son apogée sous le règne du légendaire Akbar (1556-1605).

 

Souverains hindous du nord, les rajputs se muent au cinéma en guerriers à l’esprit chevaleresque unis contre les envahisseurs, maniant le sabre à l’image des dieux belliqueux de la mythologie.

 

Photogramme du film «Mughal-E-Azam» réalisé par K. Asif (1960) © Mughal-E-Azam / Kamuddin Asif , 1960

 

Particulièrement coûteux, ces films historiques connaissent un succès inégalé. Quoi qu’il en soit, Mughal-e-Azam restera pendant quinze ans le film le plus rentable du cinéma indien.

 

Très vite, le cinéma apparaît comme la pierre angulaire de la construction identitaire de la nation indienne, dont l’indépendance s’obtient en 1947.

 

Des codes colorés et lumineux

 

Le cinéma de Bollywood est en effet le reflet des us et coutumes de l’Inde.

 

Ainsi, il n’est pas rare que la trame inclut un conflit entre inde moderne et inde traditionnelle, notamment au niveau des mariages arrangés. 

 

Le cinéma indien contraste avec celui de l’occupation britannique, particulièrement élitiste et constitué de productions essentiellement occidentales. Aujourd’hui c’est l’inverse, le cinéma s’est mué en art populaire et malgré l’absence de lois protectionnistes, 95% des productions cinématographiques diffusées dans le pays sont indiennes.

 

Ses décors et vêtements colorés, tout comme l’omniprésence de la lumière, rappellent respectivement les fêtes traditionnelles de Holi et de Diwali – triomphe de la lumière sur les ombres, du bien sur le mal.

 

Ses danses chorégraphiées au millimètre évoquent les danses rituelles et régionales tandis que les amours contrariées des héros renvoient aux récits des conteurs ambulants de l’Inde millénaire.

 

 

C’est d’ailleurs, la caractéristique des films de Bollywood : de la danse, du chant et un amour courtois où la sexualité est toujours suggérée, jamais montrée.

 

Être acteur à Bollywood implique également de pouvoir jouer l’ensemble de la palette des émotions, notamment les quatres primordiales (rasa) dressées au Ve siècle par le traité de la danse, à savoir : l’érotique, le furieux, l’héroique et l’odieux.

 

Si un film Bollywood s’ancre d’abord dans la comédie romantique ou dramatique, il n’hésite pas à mélanger plusieurs genres. Il en va ainsi du film Sholay (1975) avec Amitabh Bachchan, qui mêle film d’action, western spaghetti et comédie dramatique.

 

Par ailleurs, les chansons des films sont autant sinon plus importantes que le film lui-même. Les studios ont d’ailleurs pour habitude de diffuser les clips musicaux extraits de la bande son du film bien avant la sortie de ce dernier, de sorte que tout indien connaît bien souvent par cœur les morceaux.

 

 

Ainsi, Jhoome Jo Pathaan, chanson tirée du film Pathaan réalisé par Siddharth Anand (2023) avec Shah Rukh Khan et Deepika Padukone a battu le record d’un million de vues, 30 minutes avant sa sortie en salle !

 

L’émergence progressive des superstars

 

A l’image de son presque voisin coréen avec son écosystème K-pop, Bollywood a vu naître de véritables stars qui déchaînent aujourd’hui encore l’hystérie collective.

 

Cette montée du star system coïncide avec l’âge d’or du cinéma de Bollywood, situé entre 1940 et 1960.

 

Qualité de mise en scène, d’image, de musique, chansons et directions d’acteurs, la période donne lieu à de nombreux chef-d’œuvre, avant que le cinéma n’emprunte une voie plus formatée où priment comédies musicales, têtes d’affiche et gros budgets.

 

Les producteurs proposent alors des cachets mirobolants. N’étant plus liés à un studio, acteurs et actrices peuvent multiplier leurs engagements. La rumeur court alors que les stars tournent un film le matin, un autre l’après-midi, l’autre le soir.

 

Rajesh Khanna – décédé en 2012 – devient la première superstar de Bollywood. Les femmes indiennes n’hésitent pas à écrire des lettres enflammées, parfois même avec leur propre sang à ce latin lover à la Rudolph Valentino, qui tient des rôles romantiques et vulnérables.

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Kaka (oncle en indien) qui connaît un succès sans précédent en 1969 avec “Aaradhna” (Dévotion), sera ainsi l’acteur le mieux payé du cinéma indien de 1970 à 1987. Tournant dans 180 films, l’acteur aligne les 17 succès consécutifs en trois ans !

 

Sridevi – décédée en 2018 – incarne, elle, la première superstar féminine avec une filmographie à son apogée dans les années 1970 et surtout 1980.  Elle tourne ainsi dans près de 250 films, aussi bien en hindi, en tamoul, en télougou qu’en malayalam.

 

Dans les années 1970, Zeenat Aman rencontre son public avec Hare Krishna Hare Ram de Dave Anand (1971) mais elle crève l’écran avec Yaakon Ki Baaraat (1973), chef d’oeuvre de Nasir Hussein. Elle imprime alors dans les mémoires son look à l’occidentale (tenues décontractées et cheveux détachés) ou encore ses chansons phares « Dum Maro Dum » et « Churaliya Yeh Tumne Jo Dil Ko ».

 

 

Au même moment, Aimtabh Bachchan, dit Big B ne tarde pas, lui, à incarner l’archétype du jeune homme en colère, façon James Dean, et ce à travers des films comme Zanjeer (1973), Deewaar (1975), Sholay (1975) et Don (1978).

 

Le public européen découvre tardivement ce genre cinématographique qu’est le film Bollywood.  Quelques-uns y accèdent avec le film Lagaan (2001), bâti autour d’une partie de cricket, sport national depuis la colonisation britannique.

 

Toutefois, c’est à partir de 2002 que le cinéma de Bollywood s’impose dans le box office mondial avec Devdas.

 

 

Présenté en ouverture du festival de Cannes de la même année, ce film intronise du même coup la plus internationale des superstars du cinéma indien : Aishwarya Rai Bachchan.  Miss Monde 1994, l’actrice élue “plus belle femme du monde”, devient la première égérie indienne du groupe l’Oréal.  Elle est devenue depuis une ambassadrice de choix de la culture indienne, élevée au rang de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

 

Devdas fait également découvrir aux occidentaux une autre superstar, celui du rôle-titre, Shahrukh Khan, lui aussi déjà célèbre dans son pays depuis les années 1980.

Celui que l’on nomme SRK jouit de divers surnoms, plus grandiloquents les uns que les autres, comme Baadshah (l’empereur) de Bollywood ou encore King Khan (le roi Khan). L’acteur forme avec Kajol, l’un des couples les plus mythiques du cinéma Bollywood. Loin des comédies romantiques classiques, l’actrice ose les prises de risque alternant thriller et comédie.

 

Depuis, le panthéon indien s’est étoffé avec des stars comme les actrices Deepika Padukone, Sonam Kapoor, Priyanka Chopra, Freida Pinto, Athiya Shetty, Manushi Chhillar et les acteurs Karki Kaaryan et Raveer Singh que les marques de luxe – joaillerie et beauté en tête – s’arrachent désormais pour devenir leur ambassadeurs.

 

Bollywood n’est toutefois plus aussi puissante que par le passé. Le train de vie opulent de ses artistes, ses scénarios élitistes à destination d’une population urbaine sont  de plus en plus critiqués.

 

Autre cinéma du sud de l’Inde, Tollywood, en langue telougou, connaît en revanche un succès grandissant. Originaires d’Hyderabad, ces productions représentent l’Inde dans toute sa diversité culturelle et linguistique. 60% des indiens ne considèrent toujours pas l’hindi comme leur langue officielle.

 

Signe de cet attrait pour ce cinéma alternatif, Shiseido a choisi l’actrice Tamannaah Bhatia, connue pour tourner dans des productions en hindi mais aussi en langues tamoul et télougou, pour incarner son ambassadrice mondiale.

 

Le blockbuster d’espionnage RRR (Rise Roar Revolt), en langue tamoul et télougou a rapporté plus de 175 millions de dollars, ce qui en fait l’un des films les plus rentables de 2022 mais aussi le troisième plus grand succès indien de tous les temps au box office, derrière un autre film du réalisateur, La Légende de Baahubali – 2e partie.

Le film a d’ailleurs remporté le Golden Globe de la meilleure chanson originale ainsi que l’Oscar de la meilleure chanson originale pour Naatu Naatu.

 

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Photo à la Une : Aishwarya Rai Bachchan dans le film Devdas (2002) © Musée du Quai Branly

 


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