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Le vertigineux parcours d’ « Anatomie d’une chute » : de la Palme d’or aux Oscars

Le vertigineux parcours d’ « Anatomie d’une chute » : de la Palme d’or aux Oscars

Depuis la Palme d’or, le film de la cinéaste Justine Triet a accumulé les récompenses internationales. Voici les dix raisons qui pourrait expliquer l’incroyable engouement pour « Anatomie d’une chute ».

 

Le jury du 76ème Festival de Cannes peut être fier de son choix. Auréolé de la Palme d’or, le film “Anatomie d’une chute” de Justine Triet a reçu d’autres prix très prestigieux  depuis le début de l’année : deux Golden Globes, un Goya, un Bafta, six César et plusieurs prix européens et américains. Au total, une trentaine de prix. Point d’orgue de la saison des récompenses, ce thriller psychologique a obtenu l’Oscar du meilleur scénario original co-écrit par Julie Triet et Arthur Harari, son compagnon, le 10 mars dernier, à Hollywood. Une consécration internationale inattendue pour ce film d’auteur français à petit budget soutenu par l’Avance sur recettes du CNC.   

 

Le long métrage réussit l’exploit de plaire à un large public, à la critique et aux professionnels du cinéma. Rare ! D’une durée de deux heures trente, il a été vu par 1,6 millions de spectateurs en France. Il a été acheté par 155 pays et a enregistré 2 millions d’entrées à l’étranger. Une mise sur orbite qui ne fait que commencer.

 

Mais pourquoi tant d’engouement pour « Anatomie d’une chute » ? La curiosité pour cet ovni français joue, mais pas seulement. Voici dix raisons qui, selon nous, pourraient expliquer son incroyable succès. 

 

Un fait « d’hiver » à la montagne

 

L’histoire ressemble à un fait divers qui touche le côté « voyeur » du spectateur. 

 

Un couple s’est installé dans un chalet en Savoie, dans la vallée de la Maurienne. Ils doivent apurer les dettes qu’ils ont contractées lorsqu’ils vivaient à Londres. Sandra est une autrice allemande à succès. Samuel est prof, mais il rêve d’être un écrivain reconnu. Les tensions entre eux sont palpables. Ils ont un fils malvoyant, Daniel, qui fait de longues balades dans la montagne avec Snoop, son chien guide. Un jour, Samuel est retrouvé mort. Le corps ensanglanté gît dans la neige. Il est tombé du haut du chalet. Suicide ou assassinat commis par son épouse ? Cette question glaciale crée le suspense. La trame du film est construite autour de ce fait « d’hiver ».

 

Un thriller psychologique

 

Justine Triet a écrit le script avec son compagnon, Arthur Harari, scénariste, acteur, réalisateur. Le couple, elle connaît ! Lors de la remise de l’Oscar du meilleur scénario original, elle raconte : « Nous étions à la maison avec nos deux enfants. C’était le confinement et nous les avons mis devant des dessins animés à la télé pour avoir la paix. Il n’y avait pas de séparation entre le travail et les couches. » La réalisatrice a confié à la presse que ces quatre mois d’écriture ont été difficiles et qu’elle n’a plus envie d’écrire en couple. En tout cas, pas dans les mêmes conditions.  

 

Dès le démarrage du film (sauf à avoir lu des critiques), le spectateur ne sait pas où l’intrigue va le conduire. Il se laisse guider dans un labyrinthe psychologique. Le film est chirurgical, efficace. Il détaille au scalpel les relations du couple, l’isolement de Daniel, le rôle de services sociaux, l’amour platonique de l’avocat Vincent Renzi, la posture sévère du procureur. Progressivement le puzzle prend forme. 

 

Un film sur un procès, ça plaît

 

Le titre « Anatomie d’une chute » est un clin d’œil à « Autopsie d’un meurtre » (dont le titre original est « Anatomy of a Murder »), un classique réalisé en 1959 par Otto Preminger. 

 

Les spectateurs adorent  les films de procès : « l’affaire Dominici », « Omar m’a tuer », dernièrement « le procès Goldman » (où Arthur Harari interprète l’avocat Georges Kiejman) et tant d’autres. 

 

Dans « Anatomie d’une chute »,  deux genres se juxtaposent : le film d’enquête et le film de procès. Il y a des films de procès qui sont lents, bavards, didactiques. Julie Triet échappe à ces écueils. En amont, elle présente une femme intellectuelle, une vie de famille à la montagne, le drame. Avec l’arrivée de Vincent Renzi, l’ami avocat qui assure sa défense, le film bascule vers l’enquête. Sandra est mise en examen. Au tribunal, la reconstitution des faits sous la forme de flash-back évitent un récit linéaire et claustrophobe. Ces scènes apportent un nouvel éclairage sur les relations du couple. Elles sont entrecoupées par les questions du juge, du procureur et par la défense de l’avocat de l’accusée. 

 

Les prises de vue à l’extérieur permettent au spectateur de respirer l’air pur de la montagne. Une idylle platonique se noue entre Sandra et Vincent. L’amour, toujours l’amour… 

 

Un questionnement sur la vérité

 

Il y a le verdict à la fin du procès, mais lève-t-il pour autant les doutes ? Comment faire éclore de manière certaine la vérité qui repose sur des faits partiels et des expertises qu’il convient d’interpréter ? La conclusion de l’affaire repose principalement sur le témoignage de Daniel. A la demande du juge, l’enfant ne parle plus à sa mère afin de ne pas être influencé. Cela n’exclut pas l’amour filiale. Daniel confie à Marge, son superviseur judiciaire, son angoisse à déterminer ce qui est vrai. Elle lui répond que parfois, lorsque nous ne savons pas ce qui est réellement vrai, nous pouvons simplement décider ce qui est vrai pour nous. 

 

Daniel a-t-il menti lorsqu’il raconte que son père avait des tendances suicidaires ? Sandra derrière les barreaux, que serait-il devenu ? L’héroïne n’est-elle pas à la fois innocente et coupable ? Ce film nous interroge sur notre rapport à la vérité. Il porte aussi un regard sans complaisance sur la justice dont on peut regretter les errements, les revirements et les erreurs judiciaires.  

 

Un casting qui s’appuie sur des talents dans l’air du temps

 

Justine Triet a soigneusement orchestré son casting avec des pointures du cinéma actuel.

 

Repérée en 2006 dans « Requiem », Sandra Hüller obtient pour ce rôle l’Ours d’argent de la meilleure Actrice à la Berlinale de Berlin. En 2016, elle se fait remarquer dans « Toni Erdmann » et remporte le prix de la meilleure Actrice aux European Film Awards. En 2019, elle joue dans deux films français : Sibyl de Justine Triet et Proxima d’Alice Winocour. Elle est l’une des figures de proue du cinéma européen. 

 

« J’ai écrit en pensant à elle, la peur au ventre en me disant : « Est-ce qu’elle va accepter ? », confiait Justine Triet à feu notre confrère Gilles Kerdreux. 

 

Swann Arlaud, qui endosse le rôle de l’avocat, est l’un des visages du cinéma d’auteur hexagonal. Avec « Petit paysan », il a reçu le César du Meilleur acteur en 2018. 

 

Messi, le meilleur ami des acteurs et des festivaliers

 

 

 

« Anatomie d’une chute » pourrait-il devenir un must du cinéma animalier ? C’est un personnage indispensable dans un espace montagnard et auprès d’un enfant malvoyant. Snoop, le border collie aux yeux bleus, a l’honneur du premier plan d’ « Anatomie d’une chute ». Interprété par Messi, le compagnon à quatre pattes joue un rôle déterminant. Il aide le tribunal à revoir l’affaire criminelle sous un autre jour. 

 

Vainqueur de la Palm Dog au Festival de Cannes, Messi est salué pour son interprétation de certaines scènes dont celle de l’empoisonnement. 

 

Il a pris l’avion pour Los Angeles lors de la campagne des Oscars. Plusieurs distributeurs de films en compétition avec le long métrage français ont estimé que sa participation n’était pas loyale. Elle pouvait influencer le vote du jury. C’est dire si les gens adorent les chiens…

 

La présence de Messi lors de la cérémonie des Oscars est devenue rapidement virale sur les réseaux sociaux. Confortablement installé sur un fauteuil rouge, on croit le voir applaudir. Mais la séquence a été en réalité tournée quelques heures plus tôt avec de fausses pattes !  Messi est devenu célèbre, le meilleur ami des acteurs et des festivaliers. 

 

Une musique entêtante comme un mantra

 

Au tout début du film, Samuel monte le son de la musique lorsque sa femme reçoit une jeune doctorante au chalet. Celle-ci ne peut faire son interview et part. La musique que Samuel écoute à pleins tubes est une reprise des steel drums (les tambours d’acier des Caraïbes) du groupe Bacao Rhythm & Steel Band qui reprend la chanson P.I.M.P du rappeur 50 Cent. Elle est lancinante, entêtante. Elle revient comme un mantra obsédant. C’est une mélodie qui annonce une dramaturgie. Elle signe l’ambiance du film. 

 

 « Mon intention était de trouver une musique assez joyeuse. J’ai hésité avec du classique, mais ça rendait la chose trop pompeuse, trop kubrickienne, même si j’adore Kubrick. Il fallait trouver quelque chose d’assez léger, qui contraste avec la situation qui arrive quelques minutes après« , raconte Justine Triet dans l’émission Le Cercle sur Canal +. 

 

Un film au-delà du mouvement #MeToo

 

Ce long métrage va au-delà du mouvement #MeToo. Quand Sandra lance à son mari : « Je ne connais pas d’écrivain empêché d’écrire parce qu’il a des courses à faire ». Dans la bouche d’un homme, cette parole à la volée serait considérée comme étant terriblement misogyne. Dans ce film, les rôles sont inversés. La femme est autonome, puissante. L’homme est fragile, dépendant.

 

Sandra a une position dominante dans le couple. C’est elle qui réussit, pas Samuel. C’est lui qui s’occupe de Daniel et fait « l’école à la maison ». Sandra est malheureuse, elle trompe son mari … avec une femme. Sa bisexualité ajoute à la complexité de son personnage. Avec tous ces ingrédients, « Anatomie d’une chute » est dans l’air du temps. Sans tabou. 

 

Une réalisatrice féministe

 

Julie Triet, 45 ans, mère de deux enfants, incarne une nouvelle génération de femmes réalisatrices appréciées des féministes. 

 

Avec « Anatomie d’une chute », c’est une opportunité pour les jurys d’afficher la parité homme femme dans le monde du 7ème art. C’est aussi une façon de rééquilibrer les prix entre les films d’auteur à petit budget et les superproductions hollywoodiennes. 

 

L’affaire Weinstein est passée par là : il y a beaucoup à se faire pardonner… 

 

 

En 79 ans de festival de Cannes, Justine Triet est la troisième femme à recevoir la Palme d’or ! 

 

Elle est la première femme à réussir le doublé Palme d’or et César du meilleur film. Ils ne sont que deux films à avoir eu cette double récompense : « Le Pianiste » de Roman Polanski en 2003 et « Amour » de Michael Haneke en 2013.

 

Une campagne intense auprès des votants

 

 

Pour espérer un Oscar, Justine Triet, Arthur Harari et l’équipe d’ «Anatomie d’une chute » se sont lancés dans une campagne intense de plusieurs mois outre-Atlantique. Face aux mastodontes du cinéma américain comme « Oppenheimer », « Barbie », « Killers of Flower Moon », le « petit film français » nécessitait un lobbying d’enfer pour se positionner en sérieux challenger.

 

Interviews, cocktails, déjeuners, projections, bataille de cadeaux… 

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C’est l’équivalent d’une campagne électorale où l’on doit mettre entre parenthèses sa vie privée. Il s’agit de faire apprécier le film auprès des 10 000 votants aux Oscars.

 

Avant la remise de la Palme d’or, le producteur David Thion avait eu la bonne idée de signer avec le distributeur Neon. « Il fait partie du top 3 des distributeurs aux Etats-Unis, il a un savoir-faire et la surface financière pour faire campagne », a-t-il expliqué sur France Info. 

 

Tout ce processus surprend les Français, parce que ça n’existe pas dans notre pays. « Il ne faut pas porter de jugement moral. Les Oscars nécessitent une existence médiatique si l’on n’est pas identifié », commente Laurent Sénéchal, monteur d’ «Anatomie d’une chute ».  

 

Croiser le gratin Hollywoodien restera un souvenir fort pour l’équipe du long métrage. Justine Triet a pu échanger avec Steven Spielberg… Résultat : cinq nominations et l’Oscar du meilleur scénario original. 

 

« Anatomie d’une chute », pur produit de l’exception culturelle française, est désormais la nouvelle coqueluche du grand public au-delà des frontières de l’Hexagone. Souhaitons-lui longue vie. 

 

Les principaux Prix d’Anatomie d’une chute

 

Palme d’Or à Cannes

 

Six Césars à Paris 

Meilleur film de Justine Triet

Meilleure réalisation de Justine Triet

Meilleur scénario original pour Justine Triet et Arthur Harrari 

Meilleur actrice pour Sandra Hüller 

Meilleur second rôle masculin pour Swann Arlaud

Meilleur montage pour Laurent Sénéchal

 

Un Oscar à Hollywood 

Meilleur scénario original 

 

Deux Goden Globes à Beverly Hills

Meilleur film en langue étrangère

Meilleur scénario 

 

Un Bafta à Londres

Meilleur scénario original

 

Un Goya à Valladolid

Meilleur film européen

 

Trois Prix du Cinéma européen

Meilleur film

Meilleure réalisation

Meilleure actrice

 

 

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Photo à la Une : ©AP/SIPA


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