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Conflit congolais : les raisons d’une extension à ses proches voisins africains

Conflit congolais : les raisons d’une extension à ses proches voisins africains

Depuis plus d’une décennie, un conflit armé déchire les provinces du Sud-Kivu et du Nord-Kivu en République démocratique du Congo (RDC). Avec l’émergence du groupe rebelle M23 et les récentes accusations de soutien du Rwanda, le conflit risque de s’étendre à ses voisins africains. En parallèle, des accords de coopération sur les matières premières entre l’Union européenne, la RDC et le Rwanda suscitent des controverses, alimentant les tensions dans une région déjà éprouvée par de multiples tragédies.

 

Depuis 2004, un conflit armé ravage les provinces du Sud-Kivu et du Nord-Kivu, situées dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), entraînant le déplacement interne de près de 7 millions de personnes, selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) publié en octobre 2023. Le bilan humain est incalculable mais on estime que des millions de personnes ont perdu la vie en raison de l’instabilité politique qui sévit dans cette région depuis la fin des années 1990.

 

En février dernier, les combats les plus féroces se déroulaient principalement autour de Sake, une ville située dans le territoire de Masisi, à environ vingt kilomètres à l’ouest de Goma. Sake est considérée comme une position stratégique majeure sur la route menant à la capitale provinciale.

 

Cependant, début mars, les rebelles ont relancé une offensive à environ 70 kilomètres au nord de Goma et du territoire voisin de Rutshuru, qu’ils contrôlent en grande partie.

 

 

Après huit ans d’inactivité, le M23 (« Mouvement du 23 mars »), une rébellion majoritairement composée de Tutsis, a repris les armes fin 2021. Avec le soutien de l’armée rwandaise, les rebelles ont conquis de vastes territoires dans le Nord-Kivu, une province frontalière du Rwanda et de l’Ouganda, couvrant près de 60 000 kilomètres carrés et divisée en six territoires.

 

L’ombre du génocide rwandais

 

Face à cette situation géopolitique complexe, il est impératif de mettre en lumière cette guerre qui est reléguée au second plan à l’échelle mondiale, dans une région déjà éprouvée par de multiples tragédies au cours des dernières décennies. Le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 constitue un événement majeur explicatif. Durant cette période, les Hutus, majoritaires au Rwanda, ont perpétré des massacres de masse contre les Tutsis, accusés d’avoir provoqué le crash de l’avion présidentiel le 6 avril 1994, entraînant la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana et du président burundais Cyprien Ntaryamira. Les tensions ethniques ont déclenché un génocide qui a coûté la vie à environ 800 000 personnes en seulement 100 jours, impliquant également des Hutus modérés.

 

Le génocide a pris fin avec l’intervention du Front patriotique rwandais (FPR), un parti politique tutsi, mené par son commandant Paul Kagame, actuel président du Rwanda. Les conséquences du génocide ont entraîné la fuite d’un million de Hutus vers le Zaïre (actuelle RDC) pour échapper aux représailles du FPR.

 

La France a joué un rôle controversé dans cette période. Si elle a tenté de mettre fin aux massacres avec l’opération Turquoise, son implication reste sujette à débat. Pendant ce temps, une recomposition politique s’est opérée en RDC avec le renversement de Mobutu Sese Seko par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) en 1997, conduisant à l’ascension de Laurent-Désiré Kabila à la tête du pays.

 

La collaboration entre Kabila et le gouvernement rwandais a été cruciale pour renverser Mobutu, mais les relations se sont détériorées plus tard, notamment entre Joseph Kabila, fils de Laurent-Désiré Kabila, et Paul Kagame. Les tensions se sont intensifiées, en partie à cause de la présence de réfugiés rwandais en RDC, que Joseph Kabila considérait comme une extension du pouvoir de Kigali dans l’est de son pays.

 

L’action violente du M23

 

Malgré un accord de paix signé le 23 mars 2009, les affrontements persistent, exacerbés par l’exclusion du Rwanda des pourparlers de paix, ce qui a renforcé les tensions entre les groupes armés. Le mouvement rebelle M23 (pour « Mouvement du 23 mars »), qui a émergé en 2012, tire ses racines de cette dynamique. Composé principalement de Tutsis, il s’oppose aux Forces armées de la RDC, tandis que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), formées par d’anciens responsables hutus, sont également actives dans le conflit du Nord-Kivu.

 

 

Les allégations de soutien du Rwanda au M23 persistent, bien que le président Kagame les nie fermement. Félix Tshisekedi, président réélu de la RDC en 2023, refuse de participer aux négociations tant que les soldats rwandais restent sur le territoire congolais, soulignant l’urgence de la situation alors que le M23 menace la ville de Goma.

 

Selon les données des Nations unies, entre 1998 et 2013, environ 200 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles dans la région, un chiffre alarmant qui témoigne de l’ampleur des atrocités commises. La situation est d’autant plus critique alors que le M23 menace de s’emparer de Goma. Face à cette situation, l’armée congolaise, dépassée sur le terrain, se voit contrainte de collaborer avec des milices privées, aggravant ainsi les violences, comme l’a révélé le rapport de Human Rights Watch en 2023.

 

Les États-Unis et l’Union européenne et la France ont officiellement reconnu et condamné le soutien apporté par le Rwanda au groupe rebelle M23, actif dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Cette prise de position internationale est considérée comme une avancée significative par les autorités congolaises. Toutefois, ces dernières estiment qu’elles ne sont pas suffisantes pour mettre un terme au soutien rwandais du M23 et appellent donc à des sanctions plus rigoureuses à l’encontre de Kigali.

 

Guerre pour le coltan

 

Depuis 2004, la guerre persistante dans la région du Kivu a été le théâtre de nombreux affrontements entre les différents groupes armés. Les richesses minérales, notamment le coltan, ont alimenté les enjeux économiques qui ont en partie motivé cette guerre dans les provinces de l’est du pays.

 

Abondamment présent dans les sols de la RDC et particulièrement ceux de la région du Kivu, le coltan (mot-valise pour colombite-tantalite) est un minerai considéré comme un métal stratégique. Il est surtout utilisé dans la fabrication de condensateurs pour les équipements électroniques mais entre également dans la composition d’alliages de cobalt et de nickel dans l’aéronautique et particulièrement pour la fabrication des réacteurs. On l’utilise aussi comme revêtement dans les échangeurs de chaleur et dans des alliages pour les outils de coupe ou de tournage.

 

Les effets dévastateurs de ce conflit touchent de plein fouet les populations civiles locales. Malgré la proximité du fleuve Congo et de ses affluents, Brazzaville, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), se trouve confrontée à une grave crise d’approvisionnement en eau. Les habitants font face à une pénurie sans précédent, privés d’eau courante depuis plusieurs jours, voire des mois, selon les quartiers. Cette situation est d’autant plus éprouvante à supporter en raison des vagues de chaleur insoutenables qui sévissent actuellement. Aucune explication officielle n’est fournie pour justifier cette situation alarmante.

 

Voir aussi

 

En outre, d’importants déplacements de populations civiles se produisent. Au début du mois de mars, une offensive lancée par la rébellion du M23 a entraîné un exode massif de civils, concentrés principalement dans l’est de la RDC. Le mercredi 6 mars, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) estimait à plus de 100 000 le nombre de nouveaux déplacés en raison de ces affrontements, qui se sont poursuivis depuis dans le territoire de Rutshuru.

 

Accords de coopération sur les matières premières

 

Après la signature d’un plan d’investissement européen sur les matières premières conclu entre l’Union européenne et la RDC en octobre 2023, un protocole d’accord similaire a été signé avec le Rwanda le 19 février dernier. L’objectif de ces accords est notamment de « développer les compétences dans le secteur minier et d’améliorer la transparence et la traçabilité ».

 

Selon le ministère congolais des Affaires étrangères, ce dernier accord est perçu comme encourageant le pillage des ressources de son pays par le Rwanda, allant à l’encontre des efforts affichés par l’UE pour contribuer à la résolution de la crise dans l’est de la RDC. « Le gouvernement attend des autorités de l’Union Européenne une clarification de ce comportement ambigu alors qu’elles ne cessent d’affirmer leur volonté de contribuer à la fin de la crise sécuritaire à l’Est du Congo ainsi que de l’exploitation illicite de ses richesses naturelles », a déclaré le chef de la diplomatie congolaise, Christophe Lutundula.

 

La diplomatie congolaise a également souligné que le Rwanda n’est pas un producteur de minerais stratégiques et que plusieurs enquêtes ont confirmé que ce pays se procure ces matières premières en RDC.

 

 

L’Union européenne a réfuté toute mauvaise intention de sa part. Elle souligne l’utilité de l’accord, tout en condamnant fermement l’action des groupes armés dans l’Est de la République démocratique du Congo. Selon Peter Stano, le porte-parole de Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, l’UE « ne prend pas parti ». Elle adopte une approche équilibrée et a constamment condamné les comportements des divers acteurs face aux groupes armés dans l’est de la RDC.

 

L’institution européenne a également défendu l’accord signé avec le Rwanda. À travers son programme baptisé « Portail mondial », l’UE se dit prête à travailler avec les partenaires prêts à s’engager sur des projets « durables et responsables ».

 

 

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Photo à la Une : © Presse


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