Vous lisez en ce moment
L’irrésistible ascension de Prigojine, “ami” de plus de 20 ans de Poutine…

L’irrésistible ascension de Prigojine, “ami” de plus de 20 ans de Poutine…

Natif comme le président russe de Saint-Pétersbourg, Evgueini Prigojine lui doit sa réussite dans les affaires. Mais après lui avoir renvoyé l’ascenseur de façon trouble, il s’en est finalement séparé dans la violence. Une manière de faire qui colle bien à l’itinéraire des chefs du Kremlin et du groupe Wagner.

 

Soufre, secret et mensonges : trois mots qui résument bien le parcours  d’Evgueni Prigojine, le dirigeant de la milice Wagner qui a failli faire basculer la guerre en Ukraine. Et dont le comportement a  bien déstabilisé Vladimir Poutine.

 

Le secret entoure encore aujourd’hui les contours des négociations qui ont conduit l’ex milicien à abandonner son coup de force à Moscou et rapatrier ses troupes le 24 juin dernier. Puis à s’envoler pour la Biélorussie après avoir obtenu l’abandon des poursuites pénales contre lui-même et  les combattants du groupe Wagner.

 

Itinéraire romanesque

 

Ce qui est plus sûr en revanche, ce sont les jalons qui ont conduit ce personnage fort peu sympathique à gravir petit à petit les marches de la richesse et d’un certain pouvoir. Et à passer de l’ombre à la lumière.

 

Son itinéraire romanesque au possible rappelle celui d’autres russes célèbres tels que Staline, ex-anarchiste et braqueur de banque devenu dictateur sanguinaire au Kremlin, ou celui de l’écrivain dissident Limonov, fondateur du parti national-bolchévique à l’itinéraire tortueux décrit par Emmanuel Carrère dans son livre  “Limonov”.

 

Les années de l’ombre commencent  pour Prigojine à Saint-Pétersbourg, dont il est natif…comme Vladimir Poutine. Il commence bien mal sa vie d’adulte avec, dès l’âge de 20 ans, en 1980, une condamnation à douze ans de prison pour appartenance au crime organisé, proxénétisme, braquages  et autres faits de violence.

 

Fin de l’empire soviétique

 

10 ans plus tard, en 1990, il  bénéficie à point nommé d’une sortie anticipée de prison. C’est la fin de l’empire soviétique et du régime communiste, une période propice pour les affairistes sans scrupules comme lui. En quelques années, il va se construire un empire aux multiples ramifications

 

Son irrésistible ascension démarre sur le créneau de la restauration et de l’alimentation. Grâce à des débuts modestes (mais réussis) dans la…vente de hot dogs, il a les moyens de racheter une chaîne d’épiceries.

 

Mais c’est surtout son entrée à la fin des années 90 dans la restauration, qui sera un déclic pour l’explosion de sa carrière.

 

Le “New Island”, le restaurant de luxe  très renommé qu’il a ouvert dans la ville à Saint-Pétersbourg devient incontournable pour l’élite locale et notamment pour Vladimir Poutine, alors en pleine ascension politique.

 

C’est d’ailleurs l’établissement de Prigojine qu’il va choisir en 2001,  lorsqu’élu Président de la Russie, pour y emmener son homologue français, Jacques Chirac.

 

Marchés en or

 

Le futur dirigeant de Wagner ne va pas laisser passer sa chance et se rapproche du nouvel homme fort de la Russie. Avec lui, il partage le goût du secret et d’une violence sans remords (Vladimir Poutine a démarré sa carrière comme agent du KGB). Grâce au maître du Kremlin et à l’obtention de marchés conséquents pour nourrir les écoliers et l’Armée russes, les affaires de Prigojine changent encore de braquet.  Au début des années 2010,  il passe dans le clan des milliardaires.

 

Surnommé depuis cette époque  “ le cuisinier de Poutine”, notre homme sait habilement tirer profit des largesses du président russe tout en lui renvoyant l’ascenseur par de précieux services. Lesquels relèvent d’une autre cuisine que le traditionnel Bortsch ou caviar…

 

Son nouveau terrain de jeu ne consiste plus vraiment à manier la fourchette et le couteau, mais plutôt à se concentrer sur ce dernier.

 

Nébuleuse de sociétés

 

Grâce aux contrats passés avec le ministère de la Défense (ou selon certaines rumeurs, en catimini avec  le GRU, l’agence de renseignement militaire russe),  Prigojine va développer une nébuleuse de sociétés, agissant plus ou moins dans l’ombre, intervenant dans la désinformation en ligne, les actions militaires ou les points forts économiques (exploitation minière, gaz, pétrole, or…) des pays où il intervient ( Syrie, Libye, Centrafrique, Mali).

 

Près de 400 sociétés (réelles ou fictives) appartenant à Prigojine ont ainsi été recensées en 2023 par Dossier Center, un groupe d’enquêteurs financés par l’opposant russe Mikhaïl Khodorkovski.

 

Plusieurs mystères planent sur la fondation de la fameuse milice Wagner, en  2014. Apparue lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, elle aurait été fondée soit par Prigojine selon certaine sources, soit par Dmitri Outkine,   un ex lieutenant-colonel russe, nostalgique du régime nazi d’Adolf Hitler. Un détail qui ne manque pas de sel alors que Vladimir Poutine a “justifié” son invasion de l’Ukraine par le souhait d’éradiquer l’idéologie néo-nazie qui animerait les nationalistes de ce pays !

 

Recrutement de prisonniers russes

 

Quoi qu’il en soit, après avoir nié pendant des années toute implication dans le groupe Wagner, Prigojine  indique l’avoir fondée, lors d’une interview réalisée en 2014. Et  en septembre 2022, soit six mois après que  la fameuse  « opération militaire spéciale » russe a démarré,  fin février, en Ukraine,   il déclare  en être le représentant.  Dans  une vidéo, on le voit  recruter pour sa milice des prisonniers russes en échange de leur liberté. Une population qu’il connaît bien et pour cause…

 

Voir aussi

A la même époque, le gouvernement russe a lui-même admis être à l’origine du groupe Wagner…alors même que les sociétés militaires privées sont censées être interdites en Russie.

 

Un secret lourd pèse encore sur le parcours de Prigogine :   soit la proportion des près de 50 000 hommes de Wagner utilisés comme chair à canon et morts au combat. Et qui n’apparaissent pas dans les pertes militaires officiellement recensées.

 

Ferme à trolls

 

Aussi à l’aise que Vladimir Poutine dans l’art de la désinformation en ligne et de la propagande,  notre homme a aussi créé l’Internet Research Agency (IRA), une agence qui prospère dans ce domaine. On attribue notamment à cette ferme à trolls au service du Kremlin,  des campagnes en ligne pour  dénigrer les opposants russes ou la présence française en Afrique. Et sur le plan politique, des actions de déstabilisation au moment du Brexit, ou lors des élections présidentielles américaines de 2017.

 

Quelques années plus tard, c’est Vladimir Poutine qui fait les frais du talent de Prigojine en matière de déstabilisation, mais sous une autre forme, “plus transparente”. En prenant ses distances avec le pouvoir russe et en l’attaquant de façon crescendo pour sa mauvaise gestion de la guerre en Ukraine.

 

En novembre 2022, l’ouverture par Prigojine d’un bureau du groupe Wagner à Saint-Pétersbourg est déjà perçue par certains experts  comme une  provocation vis-à-vis des services de renseignement russes, pour qui le territoire national est une “chasse gardée”.

 

Critiques virulentes

 

Mais ce sont surtout les critiques virulentes, ces derniers mois, du chef de Wagner vis-à-vis du commandement militaire russe, accusé d’incompétence et de corruption, qui ont marqué les premiers coups de boutoir contre son ex-protecteur.

 

Et s’il a certes évité d’attaquer directement Vladimir Poutine, qui lui-même semblait fermer les yeux sur ses agisssements, Prigojine a fini par mettre le président russe au pied du mur en marchant sur Moscou pour « libérer le peuple russe ».

 

Après le dénouement qu’on connaît -abandon de la rébellion pour “éviter de faire couler le sang russe”, exil en Biélorussie et abandon des poursuites contre le chef de Wagner et ses troupes- plusieurs secrets demeurent : quelles ont été les conditions du renoncement de Prigojine et de la “clémence” de  Poutine ? Mais avec ces deux as de la désinformation, on devra probablement attendre longtemps avant que la vérité surgisse, peut-être, un jour…

 

Lire aussi > APRÈS LA MORT DE SILVIO BERLUSCONI, LE CASSE-TÊTE DE SON HÉRITAGE

 

Photo à la Une : © ALEXANDER ERMOCHENKO/REUTERS


COPYRIGHT 2022

LUXUS + MAG ALL RIGHTS RESERVED